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dimanche 24 janvier 2010

Politique, Antigone de Sophocle

La crise de légitimité du politique


Le texte paradigmatique : Antigone de Sophocle


ANTIGONE : légalité et légitimité
CRÉON: Connaissais-tu la défense que j'avais fait proclamer ?
ANTIGONE: Oui, je la connaissais; pouvais-je I’ignorer ? Elle était des plus claires. CRÉON: Ainsi tu as osé passer outre: à ma loi ?
ANTIGONE: Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'avait proclamée ! Ce n'est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu'ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d'autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux! Elles ne datent, celles-là, ni d'aujourd'hui ni d'hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m'exposer à leur vengeance chez les dieux ? Que je dusse mourir, ne le savais-je pas ? et cela, quand bien même tu n'aurais rien défendu. Mais mourir avant l'heure, je le dis bien haut, pour moi, c'est tout profit : lorsqu'on vit comme moi, au milieu des malheurs sans nombre, comment ne pas trouver de profit à mourir ? Subir la mort, pour moi n'est pas une souffrance. C'en eût été une, au contraire, si j'avais toléré que le corps d'un fils de ma mère n'eût pas, après sa mort, obtenu un tombeau. De cela, oui, j'eusse souffert ; de ceci je ne souffre pas. Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle."

Sophocle, Antigone, env. 442 av. J.-C., Éd. Les Belles Lettres, trad. R Mason.



Question : peut-on désobéir au droit ?

L’idée de désobéissance s’entend de deux manières : lorsqu’elle est un crime ou lorsqu’elle suppose une remise en question de la légitimité des lois. Ainsi le criminel qui sait qu’il commet un crime le fait, soit en acceptant le présupposé implicite du droit (nécessité d’un ordre et d’une organisation d’un système de valeurs) ; soit en choisissant son intérêt particulier au détriment de l’intérêt général.
Dès lors, la question de la désobéissance est celle de la légitimité d’un ordre politique. Ce dernier, et ses lois, permet-il justement d’accéder la justice ? Les lois qu’il se donne ne sont-elles qu’un élément de domination, de coercition ? Au nom de quel droit, c’est-à-dire au nom de quelle justice, désobéir ?

1 - Pourquoi obéir aux lois ?.

Les lois définissent les droits et devoirs de chacun dans une société donnée. S’arroger le droit individuel de choisir de désobéir aux lois, c’est, par généralisation, risquer de faire disparaître toutes les règles et toute justice, et ainsi de retomber dans l’état de guerre de tous contre tous dénoncé par Hobbes.

2 - Pourquoi désobéir aux lois ?

La tragédie d’Antigone, mais aussi la résistance pendant la guerre, montrent qu’il est parfois nécessaire de refuser un ordre politique injuste : celui d’une tyrannie, d’une dictature ou d’un despote.

3 - Le vrai problème consiste alors à se demander au nom de quoi désobéir aux lois.

Ainsi, si le principe d’un ordre législatif semble nécessaire pour établir une justice et des droits dans une société, il faut que ceux qui détiennent le pouvoir (législatif et exécutif) respectent des règles intangibles : les droits de l’homme.

On refusera, au nom d’un droit universel et fruit de la raison, des ordres, qui n’ont que la forme des lois (le commandement) sans l’esprit (la justice).


Quelles raisons avons-nous de penser qu’il peut être justes de désobéir aux lois ?


Antigone et Eichmann. Antigone : héroïne d'une pièce de Sophocle. Eichmann : un haut fonctionnaire de la solution finale.


Antigone : elle s'oppose à un commandement du Roi Créon. Créon représente l’éthique de la responsabilité, il a la charge de l’Etat : pour lui il faut que soit punie de façon exemplaire la rébellion contre le pouvoir. A l’inverse, Antigone représente l'éthique de la conviction, dans laquelle le devoir moral prime sur tout autre considération ; c’est pourquoi Antigone oppose à Créon qu’il existe des lois non écrites plus fondamentales que les lois écrites ou les ordres du pouvoir.


Eichmann est un haut fonctionnaire de la solution finale ; celui qui faisait en sorte que « les trains arrivent à l’heure » (sous-entendu : dans les camps d’extermination). Il s’est défendu à son procès en disant qu’obéir est un devoir et que nous avons le devoir d’obéir aux commandements du pouvoir, que cela doit passer avant les conséquences morales ou les protestations de notre conscience. L’attitude d’obéissance aveugle d’Eichmann est directement responsable de la mort de centaines de milliers de déportés.

On voit donc que la désobéissance civile peut s'autoriser des arguments suivants :

•Le droit ne se confond pas avec la justice. Il y a ce qui est légal, conforme à la loi et ce qui est légitime, conforme au sens de ce qui est juste.

•Les lois sont quelques fois injustes, de même que l'ordre social dont elles sont l'expression
•La morale est au-dessus du droit, et de l'ordre politique en général : les lois ne doivent pas être sacralisées, car elles ne sont que les moyens de la réalisation des idéaux et des valeurs morales. Dès que les lois trahissent ces idéaux ou ces valeur, il est légitime voire obligatoire de s’y opposer.



Problème : l’attitude d’Antigone et la condamnation d’Eichmann se fondent sur l’idée que le seul droit véritable est celui qui se fonde sur la justice. Mais de quelle justice parle-t-on ? A-t-on le droit d’invoquer son sentiment personnel du juste (le droit subjectif) pour justifier son opposition à la loi ? Ou bien existe-t-il une justice universelle sur laquelle on pourrait fonder la contestation du droit existant ?



Etude sur la séquence "politique"  : société, échanges, justice, droit, Etat

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