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mardi 22 juin 2010

La religion civile de Jean Jacques Rousseau

La religion civile de Jean-Jacques Rousseau





Conférence de Ghislain Waterlot (Université de Genève)


donnée aux Charmettes, le 20 juin 2009.


Description

Cette conférence a été prononcée le samedi 20 juin 2009 au musée des Charmettes, Maison de Jean-Jacques Rousseau, 890 chemin des Charmettes, 73000 Chambéry, par M. Ghislain WATERLOT, Maître de conférences de philosophie à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Genève et Directeur de l’Institut Romand de Systématique et d’Éthique.

Elle était organisée par les musées d’art et d’histoire de Chambéry .

[Introduction]

Je suis heureux de me trouver aux Charmettes ce soir pour réfléchir avec

vous sur le concept de religion civile, dont Rousseau est le créateur. Je suis

convaincu que ce moment théorique du Contrat social est capital1 si nous

voulons comprendre, par exemple, ce qui est en jeu aux Etats-Unis d’Amérique,

quand on parle de « religion civile ».

En outre, il me paraît d’autant plus essentiel de revenir à Rousseau que le

concept de « religion civile » a été détourné de son sens par la tradition

sociologique des trente dernières années. Le premier à avoir infléchi le concept

est Robert N. Bellah, en 1967, avec son célèbre article « La religion civile aux

Etats-Unis ». Ce n’était qu’une première inflexion qui restait encore fidèle à

l’esprit du texte de Rousseau. C’est dans les années 80 que le concept a été

galvaudé et dilué, pour désigner, sous la plume de sociologues américains et

français, les phénomènes de piété collective en général et les multiples façons

dont l’être ensemble d’une collectivité donnée se sacralise. Mais il s’agit alors

du sacré politique au sens le plus large, et même de formes non religieuses de

sacré, et c’est pourquoi il eut sans doute mieux valu forger une expression du

type : religiosité civile plutôt que de reprendre religion civile au risque de perdre

 Je m’en suis expliqué dans un livre intitulé Rousseau. Religion et politique, Paris, PUF,

2004.



la substance d’un concept aux contours rigoureux, et capable de décrire des

réalités historiques précises. Car le concept de religion civile fait partie de ces

concepts de philosophie politique qui peuvent désigner des réalités que

l’expérience nous présente : on peut sans doute parler de « religion civile » pour

le culte de l’Être suprême, voulu par Robespierre et qui a fait long feu ; on peut

aussi en parler pour les Etats-Unis. Et on a alors affaire non pas à un concept

vague ou mou, mais au contraire à un concept précis et déterminé, précisément

déterminé, et donc à une forme spécifique de religion publique, et non pas à la

religiosité la plus vague et la plus labile qui soit.

Revenons donc à Rousseau.

[Première partie]

La religion civile apparaît à la fin du Contrat social, au chapitre 8 du livre

IV. On peut dire que sa présence est une surprise

. Car le corps politique

exprimant les véritables principes du droit, dont Rousseau propose la genèse, est

fondé sur une convention passée entre les hommes, sans que Dieu n’ait rien à y

voir. Rousseau rejette même, avec une ironie mordante, ceux qui prétendent

fonder la société politique sur les Saintes Ecritures et la volonté divine2. Et voilà

pourtant que la religion fait retour, pour penser la pérennité du corps politique.

Aussi après avoir construit ce corps politique (le souverain, la notion de loi, le

gouvernement) sans la moindre référence à une transcendance, voilà qu’au

dernier chapitre du livre3 l’auteur rappelle Dieu et la religion, comme à la

rescousse.

Pour accentuer le trait, on peut même encore rappeler que le premier

envoi du manuscrit à l’éditeur Marc-Michel Rey ne comportait pas le chapitre

2 CS, I, 2, 353-354. L’ironie vise le chevalier Filmer, mais aussi la doctrine de Bossuet.

3 Il s’agit du dernier chapitre, si l’on ne compte pas pour tel le très bref chapitre de

conclusion.



sur la religion civile et que c’est seulement plusieurs mois plus tard,

probablement à l’automne 1761, qu’il l’adresse à l’éditeur4. Albert Schinz

s’appuiera là-dessus pour accabler Rousseau, en disant que ce dernier s’était

aperçu in extremis que son système ne pouvait être viable et qu’il est revenu au

dernier moment, par un artifice, à la conception traditionnelle qui fait tenir une

société politique grâce au recours à la transcendance divine.

Mais s’agit-il de cela ? La religion civile constitue-t-elle un aveu

d’incohérence ou d’échec, et une sorte de retour ? Je ne le pense absolument

pas.

D’abord il faut souligner qu’elle n’est pas une tocade de Rousseau : dès le

18 août 1756, il écrit à Voltaire qu’il considère qu’une profession de foi civile

compterait parmi les textes les plus importants pour l’humanité. Il s’agit donc

d’un souci ancien et remarquablement constant, puisqu’on rencontre des propos

sur l’utilité de la religion dans la société jusque dans le texte de 1776 : Dialogue

troisième de Rousseau juge de Jean-Jacques5. Elle n’est pas non plus un

replâtrage hâtif suite à la prise de conscience de l’incohérence de son système.

Là, il convient de nous arrêter un instant.

D’une part, il faut nous demander pourquoi Rousseau juge tellement

important de poser une religion politique, dont on pourra dire qu’elle est une

partie constitutive de l’Etat. Quelles sont les raisons qui permettent d’affirmer la

nécessité d’une religion politique ?

D’autre part, il faut nous demander pourquoi Rousseau a hésité à intégrer

ce chapitre dans le Contrat social, puisqu’il y a eu, en effet, hésitation6.

4 « Vous le trouvez petit pour un volume ; cependant il est copié sur le brouillon que vous

avez jugé devoir en faire un, et même le chapitre sur la religion y a été ajouté depuis. » Lettre

à Marc-Michel Rey du 23 décembre 1761 (n°1604 in Bestermann).

5 « De l’utilité de la religion. Titre d’un beau livre à faire, et bien nécessaire. Mais ce titre ne

peut être dignement rempli ni par un homme d’Eglise ni par un auteur de profession. Il

faudrait un auteur tel qu’il n’en existe plus de nos jours, et qu’il n’en renaîtra de longtemps. »

(972)

 Et son premier mouvement a été, en effet, de proposer un manuscrit dans lequel on ne

trouvait pas la religion civile.



Première question donc : la nécessité d’une religion politique. Une

première raison est soulignée avec force au début du brouillon du chapitre sur la

religion civile7. Rousseau y écrit :

« Sitôt que les hommes vivent en société il leur faut une religion qui les y

maintienne. Jamais peuple n’a subsisté ni ne subsistera sans religion et si on ne

lui en donnait point, de lui-même il s’en ferait une ou serait bientôt détruit. Dans

tout État qui peut exiger de ses membres le sacrifice de leur vie celui qui ne croit

point de vie à venir est nécessairement un lâche ou un fou ; mais on ne sait que

trop à quel point l’espoir de la vie à venir peut engager un fanatique à mépriser

celle-ci. Otez ses visions à ce fanatique et donnez-lui ce même espoir pour prix

de la vertu vous en ferez un vrai citoyen. »

Elle est donc là, la première raison : la guerre est une possibilité qui

menace toujours les nations8 ; ce qui veut dire que n’importe quel Etat doit

pouvoir compter sur le consentement de ses membres au sacrifice de leur vie en

cas de menace. Or Rousseau pense que sans la foi en une vie à venir, on ne peut

guère compter sur le sacrifice des citoyens. La foi en l’immortalité de l’âme

conditionne la possibilité du sacrifice.

La deuxième raison est que l’on ne peut pas compter sur la moralité d’un

athée. Rousseau se fait de l’athéisme une conception particulière, inacceptable

pour nous, mais classique à son époque. Il l’expose très clairement dans la

longue note qui clôt la Profession de foi du vicaire savoyard. Pour lui, l’athée se

concentre sur les jouissances du moi humain. S’il n’est pas une menace pour

autrui, il est tout à fait indifférent au sort des autres hommes. Et si le fanatisme

est pernicieux par sa violence, l’athéisme l’est tout autant par son caractère

 Car ce chapitre a eu une première rédaction au brouillon, que l’on trouve dans le Manuscrit

de Genève.

 « Tous les peuples ont une espèce de force centrifuge, par laquelle ils agissent

continuellement les uns contre les autres, et tendent à s'agrandir aux dépens de leurs voisins,

comme les tourbillons de Descartes. » CS, II, 9.



antisocial. Sans un décentrement de soi (ou plus exactement un déplacement du

soi) réalisé en ayant recours à un motif passionnel (et la religion est ce motif

passionnel ou affectif), il n’y a pas de conduite citoyenne assurée.

Ces deux raisons de la nécessité d’une religion en politique renvoient

elles-mêmes à une caractéristique anthropologique fondamentale : l’homme est,

avant sa dénaturation dans la société, un tout solitaire et parfait. Même une fois

qu’il fait partie d’un corps politique et qu’il en est le citoyen, il continue d’être

un homme qui peut rapporter toutes choses à lui-même indépendamment de

toute autre considération. « Chaque individu peut comme homme avoir une

volonté particulière dissemblable à la volonté générale qu’il a comme citoyen »

(CS, I, 7). En moi, il peut y avoir à tout moment deux volontés contraires qui se

disputent. Ma volonté en tant qu’individu est soutenue par l’amour naturel de

moi-même9. Elle a donc une puissance passionnelle que le seul principe abstrait

du devoir du citoyen n’aura jamais par lui-même. Une telle affirmation met en

évidence le principe du relâchement du lien social : elle peut même nous faire

craindre la dissolution de ce lien. La volonté particulière l’emportant chez

chacun, il n’y aura bientôt plus personne pour se conduire en citoyen : partout

règnera l’hypocrisie. D’un côté de beaux discours citoyens ; de l’autre côté, des

actes sans rapport avec ces discours. Du coup, l’obligation pour la société de

multiplier les réglementations juridiques contraignantes, et pour finir la

dissolution d’un système qui s’effondrera sur lui-même.

Il s’agit, par la religion, de faire contrepoids et de resserrer le noeud. Vous

remarquerez que ce n’est pas le seul moyen de renforcement ou de consolidation

de la société. Il est d’autres manières d’attacher davantage le citoyen à sa

communauté politique, comme le tribunal censorial, ou encore l’éducation

publique radicale dont Rousseau propose l’esquisse dans le Discours sur

 « L’amour de soi-même est le plus puissant, et, selon moi, le seul motif qui fasse agir les

hommes ». Lettre à l’abbé de Carondelet, 4 mars 1764.



l’économie politique. Mais il semble que le moyen le plus adapté, aux yeux de

Rousseau, soit encore la religion civile.

[Deuxième partie]

Mais alors s’il estime que c’est le meilleur moyen, pourquoi semble-t-il

avoir hésité à introduire ce chapitre dans l’ouvrage ? Sans doute parce qu’il se

trouvait dans une situation très délicate : par la religion civile, il allait en effet

être amené à la fois à récuser le christianisme en tant que religion politique (or

c’était la religion politique de toutes les nations européennes) et à inventer une

religion politique nouvelle, ce qui est se mettre forcément en position

extrêmement délicate. Ma thèse est en effet que Rousseau invente la religion

civile, parce qu’il s’aperçoit que, pour nous autres modernes, il n’y a plus

aucune religion politique viable à notre disposition.

Pourquoi selon lui n’y aurait-il plus aucune religion politique viable ? Un

texte central du chapitre sur la religion civile le met clairement en évidence. Il y

déclare que lorsqu’on s’intéresse au rapport de la religion et de la société, il n’y

a que trois espèces de religions possibles. La première espèce correspond à

toutes les religions païennes et se définit ainsi : « Inscrite dans un seul pays,

(elle) lui donne ses dieux, ses Patrons propres et tutélaires : elle a ses dogmes,

ses rites, son culte extérieur prescrit par des lois ; hors la seule Nation qui la suit,

tout est pour elle infidèle, étranger, barbare ; elle n’étend les devoirs et les droits

de l’homme qu’aussi loin que ses autels. Telles furent toutes les religions des

premiers peuples, auxquelles on peut donner le nom de droit divin civil ou

positif. » Cette espèce de religion fut la religion de tous les peuples jusqu’à

 Ou les propositions d’éducation publique que l’on trouve dans les Considérations sur le

gouvernement de Pologne.



Jésus de Nazareth. Ce qui veut dire que Rousseau ne fait pas d’exception pour le

peuple hébreu. Le peuple hébreu, à ses yeux, est monolâtre, mais pas

monothéiste : il reconnaît pour lui-même un seul Dieu, mais il admet qu’il y a

d’autres dieux, protecteurs des autres peuples11. Le dieu des Hébreux est un dieu

national.

Toutes ces religions nationales, dotées d’un Dieu de la nation, ont pour

caractéristique de serrer très fortement le noeud social. Elles rendent les peuples

très agressifs, mais aussi très attachés à la patrie qui est « l’objet de (leur)

adoration » (CS, IV, . On se rappelle d’ailleurs la citoyenne de Sparte du début

de l’Emile, dont le comportement ne peut que nous effrayer : ne pensant qu’à la

victoire de sa cité, elle est manifestement indifférente à la mort de ses cinq fils

(E, I, 249).

Toute la question est de savoir si on peut tenir le noeud social aussi serré

aujourd’hui qu’autrefois. Supportons-nous l’idée et la perspective d’hommes

entièrement fanatisés par leur communauté politique ? Rousseau répond que

non. Et la raison précise de ce refus, nous pouvons aller la chercher dans un

texte mal connu, publié longtemps après la mort de Rousseau et intitulé

Morceau allégorique sur la révélation. Il y est suggéré que les religions

originaires ne sont que la sacralisation des convoitises humaines. L’allégorie au

coeur du texte évoque un « édifice immense formé par un dôme éblouissant que

portaient sept statues colossales au lieu de colonnes » (MAR, 1048). Métaphore

de toutes les religions païennes, ce temple concentre tous les peuples réunis

autour d’une statue voilée, située au centre du bâtiment, et placée sur un autel

heptagonal, lui-même sous la clef de voûte sur laquelle est écrit : Peuples servez

 Au début du chapitre sur la religion civile, Rousseau renvoie à un passage de l’Ancien

Testament, où Jephté déclare aux Ammonites : « La possession de ce qui appartient à Chamos

votre Dieu ne vous est-elle pas légitimement due ? Nous possédons au même titre les terres

que notre Dieu vainqueur s’est acquises ».

« Toutes les anciennes religions, sans en excepter la juive, furent nationales dans leur

origine, appropriées, incorporées à l’Etat, et formant la base ou du moins faisant partie du

système législatif. » (LEM, I, 703-04).



les dieux de la terre. Les sept statues de la circonférence représentent les péchés

capitaux. Quant au dieu central, chaque peuple lui donne une ou des figures

différentes, en fonction de son ingenium (MAR, 1049). C’est pourquoi il nous est

présenté comme voilé : grâce au voile, la pluralité des dieux, chaque peuple

ayant le ou les siens, et l’unicité de leur essence coïncident. Car sous les

variations de l’imaginaire, il n’y a en fait qu’une réalité : la sacralisation du

groupe. Cette sacralisation est le principe de l’amour intense de la patrie. Le

dieu national est en effet plein d’ardeur et de zèle, rempli d’un « enthousiasme

céleste » (la statue tient dans sa main gauche « un coeur enflammé »). Cet

enthousiasme est contagieux et unifie dans la ferveur un groupe humain

déterminé.

Cependant il a une redoutable contrepartie. Car le dieu national est cruel

et terrible aux étrangers13. D’ailleurs, une fois dévoilée, on s’aperçoit que la

statue écrase sous ses pieds « l’humanité personnifiée » (MAR, 1052). Le dieu

national est aussi le dieu qui maintient divisée l’humanité en général, et exhorte

à son ravage.

Mais après tout, pourquoi cela devrait-il nous déranger ? Que la cité du

contrat prenne des décisions injustes à l’égard des autres collectivités humaines,

cela est d’ailleurs normal et, semble-t-il, inévitable. [Cf. CS] Pourquoi devrionsnous

être affectés à l’idée que souffrent ou que meurent, éventuellement à cause

de nous, des êtres lointains, qui n’ont en commun avec nous ni lois ni moeurs. Et

Bergson rappelait que chez les anciens peuples de Mésopotamie, on n’hésitait

pas à se glorifier, en en gravant l’évocation sur la pierre pour bien en conserver

la mémoire, de l’ampleur des massacres d’étrangers vaincus.

En fait pour que la mise à mort d’êtres humains étrangers, même à grande

échelle, nous dérange il faut que quelque chose se soit passé, qui ne nous permet

 « Les mots d’étrangers et d’ennemis ont été longtemps synonymes chez plusieurs anciens

peuples, même chez les Latins », MdG, « De la société générale du genre humain », OC III

288.

 plus de nous en tenir aux religions politiques des anciens. Ce quelque chose

qui s’est produit est le développement de la conscience (le droit naturel

raisonné) qui a fait accéder l’humanité à l’idée d’un Dieu de tous les hommes,

donc à l’idée de la communauté de tous les hommes par leur rapport à un seul et

unique Dieu. Comment a-t-on pu accéder à l’appréhension de ce Dieu unique ?

Est-ce par un approfondissement personnel et intime, que les hommes peuvent

faire d’eux-mêmes, individuellement, parce que la conscience dort au fond

d’eux ?

Non, car leur raison ne se développe réellement que dans le cadre d’une

vie collective, grâce à l’échange des idées, sans lesquels il est impossible de

généraliser ses propres idées et de se rendre capable d’abstractions de plus en

plus hautes. Tant que la culture n’a pas été profondément développée, on reste

au niveau de dieux matériels et locaux, qui sont la représentation commune des

hommes dont la vie sociale est encore fruste. Accéder à l’abstraction qui permet

de faire venir à l’idée un Dieu d’ordre, universel et immatériel, c’est témoigner

d’un haut degré de culture. La Lettre à Christophe de Beaumont15 est claire à ce

propos : « l’esprit de l’homme, sans progrès, sans instruction, sans culture, et tel

qu’il sort des mains de la nature, n’est pas en état de s’élever de lui-même aux

sublimes notions de la divinité ; mais ces notions se présentent à nous à mesure

que notre esprit se cultive ; aux yeux de tout homme qui a pensé, qui a réfléchi,

Dieu se manifeste dans ses ouvrages ; il se révèle aux gens éclairés dans le

spectacle de la nature. »

Mais le degré de culture d’une société suffit-il à produire des hommes

aptes à reconnaître Dieu ? Non, dans la mesure où les dieux nationaux sont là

qui interdisent une telle perspective. Chaque dieu national est un principe de

 Et qui rend intolérable le néo-paganisme que nous avons vu s’affirmer à nouveau sous le

nazisme.

 Archevêque de Paris, qui a condamné L’Emile et Du contrat social et a suscité le

mandement contre Jean-Jacques Rousseau.


clôture, le  principe protecteur du particularisme : il rappelle que la cité est audessus

de toute chose, et en s’opposant aux autres dieux, il divise le genre

humain. Le principe du paganisme est de poser nettement la distinction

ami/ennemi. Comment forcer un tel obstacle ? Comment affirmer un Dieu dont

la particularité est précisément de n’être pas un dieu particulier ? Comment

pouvoir affirmer un Dieu qui abolit le principe des frontières ? Rousseau répond

qu’il fallait un homme exceptionnel et une situation accidentelle. Cet homme

exceptionnel, pour Rousseau, est Jésus de Nazareth. Et la situation accidentelle :

l’occupation de la Judée par l’empire romain.

Jésus occupe une place importante et singulière dans la pensée de

Rousseau. C’est lui qui introduit une rupture dans l’histoire de l’humanité. La

parole de Jésus révèle la conscience à elle-même : il n’y a rien qu’elle apporte

qui n’était au fond de nous, prêt à paraître et pourtant empêché de paraître.

Sans être introductrice de quelque chose d’étranger, cette parole est

véritablement une sorte de révélateur.

Jésus suscite d’ailleurs l’étonnement de Rousseau. S’il est divin, c’est

parce qu’il a pu paraître dans un peuple si avili et si abaissé, par conséquent si

peu susceptible de faire naître en son sein des hommes capables de s’élever à la

pensée de la divinité. Dans la grande comparaison, très célèbre, avec Socrate

(dans la deuxième partie de la PdF), Jésus l’emporte précisément parce qu’il a

su s’élever dans des conditions qui normalement empêchaient l’élévation (et

qu’il a consenti à mourir dans l’abjection publique et l’ignominie, alors qu’il

était innocent).

Toutefois, que Jésus ait été capable de s’élever à la pensée de Dieu est

une chose, mais cela ne dit pas encore comment il a pu s’y élever réellement,

alors que le monde qu’il a connu était un monde de religions nationales. De ce

point de vue, la Lettre à Franquières du 15 janvier 1769 nous apporte de

précieuses indications sur l’hypothèse formulée par Rousseau. Cette hypothèse

 D’où le principe d’une critique de la transcendance et de l’hétéronomie.



est la suivante : Jésus aurait d’abord eu pour objectif, de manière classique et

strictement politique, de relever une fois de plus son peuple. Inscrit dans la

lignée des prophètes inaugurée par Moïse, Jésus aurait voulu « faire derechef (de

son peuple) un peuple libre et digne de l’être », donc il aurait voulu restaurer la

loi de Moïse dans les coeurs de ses concitoyens. Mais il s’aperçut qu’il était

condamné à l’échec, vivant au milieu d’un peuple trop avili par la servitude

romaine, incapable de l’entendre, encore moins de le suivre, bref un peuple

déclinant et plus corrompu que celui qui vécut l’exil à Babylone. Cet accident

historique du protectorat romain et ses effets le contraignirent à étendre son

projet « dans sa tête », et à inviter ses disciples à convertir le monde entier,

toutes les nations. Une telle extension avait une condition : que Jésus soit arrivé

à la certitude qu’un seul Dieu règne sur tous les hommes, ou que tous les

hommes communient en lui et qu’ils soient par-là même des frères. Mais à la

vérité, il est impossible de dire si la certitude d’un Dieu unique est venue à cause

de la conscience de l’impasse dans laquelle Jésus se trouvait, ou si elle a précédé

la rencontre de cette impasse et a rendu son dépassement possible. Il semble plus

cohérent avec la pensée de Rousseau de poser que l’impasse a contraint à un

effort nouveau, en vue de repenser le rapport de l’homme à Dieu, et que Jésus

ayant suffisamment généralisé ses idées – marque de sa supériorité – il était

capable de découvrir l’unicité et l’universalité de Dieu par sa raison.

Dans les Evangiles (et je songe ici à Matthieu XV, 21-2 on rencontre

des passages où Jésus, en butte aux siens, est frappé par la foi que peuvent

manifester les gentils. Après avoir rappelé à la cananéenne prosterné son statut

de « petit chien », Jésus est bouleversé par la foi qu’elle manifeste. Tout se passe

comme si la rencontre de la foi chez les gentils avait joué comme une sorte de

prise de conscience pour Jésus. En prenant conscience que tous les hommes

peuvent être animés de la même foi en un même Dieu, à partir de l’obstacle qu’a

constitué le refus des Juifs de recevoir son discours, le Galiléen aurait brisé la

12

clôture qui divisait le divin en autant de communautés politiques, et

subséquemment condamnait au fanatisme et à la violence toujours renouvelée.

Du coup, on pourrait penser tout simplement que le paganisme doit être

écarté comme religion politique et que le christianisme doit s’y substituer. Ce

serait faire une erreur complète. Car le christianisme historique, le christianisme

d’Eglise (quelles que soient ces Eglises), est plus mauvais encore que le

paganisme fanatique. Pourquoi ? Parce que Jésus de Nazareth n’est pas

seulement l’homme qui a introduit dans le monde la croyance en un Dieu

universel, il est aussi à l’origine d’une autre rupture, il est donc la cause de deux

ruptures en fait, et si la première est une excellente chose pour l’humanité, la

seconde est une sorte de catastrophe qui peut se résumer dans ces quelques mots

du chapitre « De la religion civile » :

« Jésus vint établir sur la terre un royaume spirituel ». En fait, il a établi

un contre-royaume dans chaque royaume.

Certes, on ne peut imputer directement à Jésus la volonté de scinder

l’Etat, et d’établir un pouvoir concurrençant le pouvoir politique. Mais le seul

fait de séparer le culte sacré du souverain produisit ce résultat. Ou alors il eut

fallu que la fin des temps annoncée suivit de peu la résurrection. Et c’est d’abord

ce que les premiers chrétiens ont espéré18. Mais le jugement attendu n’est pas

venu, et très vite les premiers disciples ont interprété la royauté de celui qu’il

nommait dès lors le Christ, comme une royauté concurrente des princes de ce

monde. Rousseau le rappelle dans un fragment du manuscrit de Neuchâtel

(7842), qu’il destinait au chapitre sur la religion civile : on lit dès les Actes des

apôtres (XVII, 7),

« Et ils contreviennent aux ordonnances de César, en disant qu’il y a un

autre roi qu’ils nomment Jésus. »

 Rappelons-nous saint Paul et l’indication selon laquelle cette génération ne serait pas passée

avant que le Christ ne soit revenu.



Ce faisant, Rousseau ne dit pas que les disciples ont trahi le maître. En

établissant sur la terre un royaume spirituel, Jésus a implicitement imposé, dans

l’attente de son retour, qu’il y ait dans l’empire, puis dans chaque Etat chrétien

issu de l’empire après son démembrement, un double pouvoir, une double

royauté. C’est tout à fait inouï. Il ne s’agissait pas, en effet, de revêtir l’autorité

en se substituant purement et simplement à celle qui était en place. Ce n’est pas

un renversement classique qui s’est produit. Les chrétiens ont fait autre chose ;

ils ont introduit la dualité dans l’Etat. Le royaume de l’autre monde était

« prétendu » (dixit Rousseau). Il se révèle être, en réalité, une Eglise, avec à sa

tête un chef visible s’attribuant un pouvoir temporel distinct de celui du prince.

Quoi de plus légitime que cette auto-attribution d’une puissance de

commandement, puisque cette Eglise assure être la préparation, ici bas, du

royaume à venir, bien plus important que la vie présente. L’État doit donc être

l’organe de l’Eglise. Bien entendu, l’empereur puis les princes de la chrétienté

ne se satisfont pas de la situation, et « les divisions intestines qui n’ont jamais

cessé d’agiter les peuples chrétiens » ont pu commencer : tout ce que nous

appelons le Moyen Âge est en effet traversé par la querelle en vue de déterminer

qui, de l’empereur puis des rois d’un côté, du pape de l’autre, est revêtu de la

plenitudo potestatis.

Cela seul, aux yeux de Rousseau, condamne tout le christianisme

historique, c’est-à-dire les différentes formes de christianisme.

La venue de Jésus a donc condamné les religions politiques premières de

l’humanité, mais la religion qu’il a suscité par ses disciples, religion que

Rousseau nomme la « religion du prêtre », est politiquement tout à fait nocive et

ne saurait remplacer les religions nationales récusées. Mais n’y a-t-il pas

d’autres formes de religion issues de la parole de Jésus que le christianisme

 : « Cependant comme il y a toujours eu un prince et des lois civiles, il a résulté de cette

double puissance un perpétuel conflit de juridiction qui a rendu toute bonne politie impossible

dans les Etats chrétiens, et l’on n’a jamais pu venir à bout de savoir auquel du maître ou du

prêtre on était obligé d’obéir ».CS, IV, 8, §10 (OC III, 462)



historique ? La réponse, comme vous le savez, se trouve dans la profession de

foi du vicaire savoyard. Cette troisième forme de religion existe : c’est la

religion de l’homme.

« Sans Temples, sans autels, sans rites, bornée au culte purement intérieur

du Dieu Suprême et aux devoirs éternels de la morale, (elle) est la pure et simple

Religion de l’Evangile, le vrai Théisme, et ce qu’on peut appeler le droit divin

naturel. » (CS, IV,

N’est-ce pas cette religion, cette religion morale, qui devrait être adoptée

comme religion politique ? Non, et ce refus sera longuement argumenté dans le

chapitre de la religion civile. Et les arguments exciteront d’ailleurs les fureurs de

l’autorité et de la censure.

Pourquoi la réponse est-elle négative ? Parce que la religion de l’homme

est trop douce pour commencer (et la douceur de celui qui l’a manifestée pour la

première fois parmi les hommes l’a d’ailleurs conduit à l’abattoir). Ensuite elle

détourne l’attention des hommes de cette vie vers l’espérance d’une autre vie.

Surtout elle empêche les hommes d’aimer assez leur patrie pour lui accorder aux

occasions toute la détermination, la hargne, la force enragée même dont ils sont

susceptibles, sans souci de la justice. Bref, l’adepte de la religion de l’homme

n’est pas dangereux dans l’État, mais il n’est pas un bon défenseur de cet État,

parce qu’il est incapable de considérer au besoin l’étranger comme un ennemi

qu’il faut détruire. Dans cet ordre de réflexion, Rousseau en appelle plusieurs

fois aux analyses de Machiavel, qui tendent à montrer que le chrétien ne peut

pas être un bon citoyen. Si bien que si le jugement du Florentin sur les Evangiles

ne concorde pas du tout avec celui du Genevois (qui pense que les Evangiles

sont porteurs de la vraie religion reconnue par la raison même), ils se

rencontrent en revanche pour formuler le diagnostic d’un christianisme des

Evangiles impuissant politiquement et donc inutile, voire néfaste, sur ce plan

politique. Le vrai chrétien est fait pour être esclave dit Rousseau. Il ne sera donc

pas capable de haïr suffisamment l’ennemi extérieur, mais il ne serait pas



davantage capable de prévenir les menées du tyran qui, à l’intérieur, guette le

moment favorable pour s’emparer du pouvoir et ruiner la liberté des citoyens.

Certes la religion de l’homme (ou religion naturelle) n’est pas absolument

dépourvue de toute signification politique. En effet elle permet d’ouvrir la

perspective d’une société générale du genre humain : si les hommes sont tous

frères parce qu’enfants d’un même Dieu, créateur de tous les êtres, ne peut-on

pas penser que des efforts doivent tendre vers une organisation politique qui

permettrait d’empêcher les guerres entre nations, guerres qui sont des luttes

fratricides ? ne faudrait-il pas aspirer à des sociétés ouvertes ? Sans doute, mais

en même temps Rousseau souligne que le pire serait de croire que les progrès

décisifs sont déjà faits, et de vivre comme si les nations n’entretenaient pas

encore des desseins belliqueux les unes à l’égard des autres. La religion de

l’homme apporte l’entrouverture. Mais le politique qui voudrait la prendre pour

guide en toute chose, sans tenir compte des conditions concrètes de l’action dans

un monde où tous les coeurs sont loin d’être imprégnés ou pénétrés de l’idée que

tous les hommes sont appelés à une paix universelle, ce politique là serait, bien

involontairement sans doute, l’auteur et le porteur d’une politique criminelle.

Tout en faisant des efforts pour unifier les sociétés humaines, il faut

encore tenir compte que les communautés politiques sont divisées, et que les

guerres sont encore possibles (et qu’elles continuent d’arriver). Ce qui veut dire

qu’il faut préparer les citoyens à cette éventualité, et maintenir dans les coeurs

l’amour de la patrie. Une religion peut y contribuer. Certainement pas la religion

de l’homme.

Mais on est alors bien ennuyé, et même devant une aporie redoutable. Car

nous avons écarté successivement les religions civiques à l’antique, les

christianismes d’Eglise (et toutes les religions du prêtre) et enfin la religion de

l’homme ou religion naturelle. Que reste-t-il à notre disposition ? Rousseau est

bien obligé de le constater : rien. Plus exactement, il ne le constate pas, mais il



nous le fait constater. Il a expliqué, dans le texte dont j’étais parti pour ce long

développement, qu’il n’y a que trois sortes de religion. Il termine en montrant

qu’aucune des trois ne convient. Mais il ne tire pas la conclusion. A la fin de son

développement sur le christianisme des Evangiles, il marque une rupture et

déclare curieusement :

« Laissant à part les considérations politiques, revenons au droit, et fixons

les principes sur ce point important » (CS, IV, 8,…).

Comment fixer les principes alors qu’on vient de montrer qu’il n’y a plus

pour nous de religion politique possible ? Cela paraît absurde et l’est en effet,

sauf si en réalité Rousseau invente une nouvelle religion politique. Et, à mon

avis, c’est précisément ce qu’il fait. Il crée une nouvelle religion politique, mais

sans pouvoir le dire. Il ne peut le dire pour une excellente raison : il est toujours

dangereux de prétendre apporter une religion nouvelle, surtout à un moment qui

n’est pas révolutionnaire (c’est-à-dire de crise). Devant lui, Rousseau a le

spectacle du royaume de France, appuyé sur son catholicisme gallican et qui va

bientôt exécuter le chevalier de la Barre. Il a également, qui le regarde, la

Genève de sa naissance, appuyée sur son christianisme réformé. En supposant

que ce christianisme réponde à l’esprit de la réforme (ce que Rousseau niera

dans les Lettres écrites de la montagne), et qu’il soit donc une expression

approximative du christianisme des Evangiles ou de la religion naturelle, il n’en

est pas moins vrai que Rousseau laisse entendre aux Genevois qu’ils sont dotés

d’une mauvaise religion politique. Inutile de souligner ce qu’ils pourront sans

doute comprendre tout seul : et en effet, si les autorités genevoises n’ont pas

spécialement cherché à réfléchir sur la teneur de la religion civile, en revanche

elles ont bien vu que les religions politiques existantes étaient récusées, la leur

avec les autres.

Rousseau n’avait donc pas besoin d’insister sur le fait qu’il était en train

d’inventer une religion sui generis. Mais de fait la religion civile est bien une

création conceptuelle.



Que contient-elle ?

Lorsqu’on considère le contenu dogmatique de cette religion civile forgée

par Rousseau, on a la surprise de constater que l’on y retrouve l’ensemble des

dogmes de la religion naturelle. Mais un article vient s’ajouter, essentiel, qui est

directement issu des religions civiques à l’antique : « la sainteté du Contrat

social et des lois ».

Soyons clairs : Rousseau stipule expressément que le christianisme des

Evangiles (religion naturelle) ne peut pas être un élément intégré à la religion

civile. Il souligne aussi que les religions païennes ne sauraient plus convenir, et

voilà que nous les retrouvons dans la composition de la religion civile. Est-ce un

flagrant délit de contradiction ? Oui, si l’on pense que la religion civile est un

compromis passé entre les deux formes de religion que sont le paganisme ancien

et la religion de l’homme. Parce que le compromis suppose que chaque partie,

tout en consentant à des concessions, conserve son intégrité et demeure présente

dans la solution obtenue par le compromis. Or ici il est exclu que ces religions

soient présentes, en tant que telles, à la religion civile.

Elles ne le seront pas si l’on considère les choses sous l’angle de

l’opération dite syncrèse chimique. Le modèle chimique peut en effet apporter

une solution. Rousseau, auteur des Institutions chimiques, le connaissait bien.

« La syncrèse chimique, écrivait-il, consiste en de nouvelles mixtions de sorte

que deux substances qu’on unit mêlées et confondues intimement en composent

une troisième d’une forte union différente en nature de chacune de celles qui

l’ont composée et où aucune d’elles n’est plus reconnaissable ». Que la chimie

fonctionne comme analogie pour le politique n’est pas à notre avis une idée

forcée, puisque Rousseau lui-même évoque cette opération dans le chapitre du

Manuscrit sur la société générale (MdG, 284).

En réalisant une synthèse de la religion naturelle et de la religion civique,

Rousseau obtient un mixte qui est autre chose qu’une addition d’éléments. Bref,

 C’est la thèse de Victor Goldschmidt et de Robert Derathé.



la religion civile n’est pas la religion naturelle plus quelque chose. Elle est une

religion nouvelle. Une religion qui porte en elle une exigence d’ouverture en

posant un Dieu de tous les hommes, et un article par lequel les prescriptions ou

les appels de ce Dieu d’amour, de justice et d’ordre, voient leur portée atténuée ;

ou pour le dire autrement se voient subordonnées à des exigences d’un autre

ordre. Il arrivera que des lois de la communauté politique soient injustes à

l’égard des autres communautés politiques, et la religion civile comporte

l’élément (« la sainteté du contrat et des lois ») qui interdit de s’opposer à cette

injustice au nom de Dieu.

La présence d’un Dieu universel à la tête de la religion civile permet

d’ouvrir la perspective d’une humanité unifiée et harmonisée. Mais il ne s’agit

que d’une perspective. Parce que cette unification ne peut se faire que très

progressivement (et qu’elle n’est même pas assurée), à partir des sociétés

politiques particulières existantes, il faut admettre la présence d’une tension

entre l’ouverture et la fermeture. Selon le moment historique, la crise ou au

contraire la sérénité dans le climat international, la religion civile favorise

davantage la clôture ou au contraire tend à la franche ouverture. La religion

civile n’est pas une donnée rigide. Elle assouplit et universalise les sentiments

des hommes, et en même temps elle peut rappeler à la particularité, car elle a en

elle de quoi le faire. Elle est donc une affirmation conditionnelle du Dieu

universel. En d’autres termes, une exigence issue de la religion naturelle doit

pouvoir toujours être subordonnée à une décision législative : « Sitôt que la

puissance législative parle, écrit Rousseau dans les Considérations sur le

gouvernement de Pologne (4, 973), tout rentre dans l’égalité ; toute autorité se

tait devant elle ; sa voix est la voix de Dieu sur la terre ».

C’est pourquoi au bout du compte on peut dire que la religion civile est

pensée par Rousseau à la fois comme un appui de la liberté des citoyens : elle

renforce l’attachement à l’Etat ; et comme un facteur de paix et d’unification des



hommes : elle modère ou tempère le fanatisme de la particularité pour ouvrir les

perspectives d’une humanité pacifiée.

En tant que religion, elle constitue un mobile affectif et passionnel

d’action (donc elle a en elle une certaine puissance que de simples raisons n’ont

pas : une bonne raison n’a jamais empêché un homme soulevé par une passion

d’aller dans le sens de sa passion). Mais en réalité ce mobile est seulement

modérément puissant : l’amour de la particularité est tempéré par la

considération de l’universel. Cependant cette religion reste un mobile, que

Rousseau estime parfaitement légitime dans la mesure où, à ses yeux,

l’affirmation de l’existence de Dieu est vraie. Tout homme qui use de sa raison,

en ne se détournant pas du témoignage de sa conscience qui confirme le

raisonnement et l’élève par-là même au-dessus d’une simple probabilité, tout

homme sincère et vrai donc reconnaît l’existence d’un Dieu d’amour, de justice

et d’ordre. Dès lors la religion civile apporte à la fois satisfaction au besoin de

religion en politique et une atténuation maximale des effets négatifs de la

religion en politique. Mais évidemment elle suppose des êtres humains acquis au

monothéisme et ne laisse guère de place à l’expression publique de l’athéisme.

Et nous pouvons conclure ici en reconnaissant que ce n’est pas là la moindre de

ses difficultés.

Etude postée depuis le forum pédagogique des lycéens

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