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dimanche 31 janvier 2010

Blaise Pascal - Les Pensées; Section XI Les prophéties

L'origine du doute chez Pascal, le divertissement pascalien

En abordant la question du doute en philosophie, on est amené à se demander où ce doute prend sa source. On pourrait en fait en distinguer deux, qui sont de nature différente, mais vont être canalisées par la philosophie dans une seule et même attitude. L’une de ces sources a été rencontrée chez Blaise Pascal dans ce qu’il qualifie comme l’angoisse provoquée sur l’homme par sa propre condition : perdu dans un univers aveugle et sourd, il cherche des réponses à ses questionnements mais n’en trouve pas : l’univers, face à lui, demeure muet.
Le passage suivant des Pensées est, sur ce point, le plus fréquemment cité :

“En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, en regardant l’univers muet et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre point en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi, d’une semblable nature: je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, ils me disent que non; et sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s’y sont donnés et s’y sont attachés. Pour moi, je n’ai pu y prendre d’attache, et considérant combien il y a plus d’apparence qu’il y a autre chose que ce que je vois, j’ai recherché si ce Dieu n’aurait point laissé quelque marque de soi.”



Blaise Pascal - Les Pensées; Section XI Les prophéties

Pascal y décrit le fond angoissant de l’existence humaine, mais il y montre aussi comment l’homme tente d’échapper à cette angoisse en faisant diversion, en orientant ses pensées de manière à éviter tout ennui et toute pensée mettant le doigt sur l’absurdité de l’existence.


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L'administrateur

L'allégorie de la caverne, Platon

L'allégorie de la caverne


“Maintenant, repris-je (Socrate), représente-toi de la façon que voici l’état de notre nature relativement à l’instruction et à l’ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles.
- Je vois cela, dit Glaucon.
- Figure-toi, maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d’hommes et d’animaux, en pierre, en bois, et en toute espèce de matière ; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent. Un étrange tableau et d’étranges prisonniers, s’écria Glaucon. Ils nous ressemblent, répondit Socrate ; et d’abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d’eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face.

- Et comment ? observa Glaucon, s’ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie ? Et pour les objets qui défilent, n’en est-il pas de même ?
- Sans contredit. Si donc ils pouvaient s’entretenir ensemble ne penses-tu pas qu’ils prendraient pour des objets réels les ombres qu’ils verraient ?
- Certainement.
- Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l’un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l’ombre qui passerait devant eux ?
- Non, dit Glaucon.
- Assurément, repris Socrate, de tels hommes ne peuvent attribuer de réalité qu’aux ombres des objets fabriqués. Et maintenant, imagine ce que pourrait provoquer une soudaine délivrance. Imagine qu’on délivre un prisonnier, qu’on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière ; imagine qu’on le projette face à tout ce qu’il ignore, à toute ce que son esprit n’a probablement pas même pu imaginer…
- En faisant tout ces mouvements, ne souffrira-il pas ? Pourra-t-il distinguer les objets dont tout à l’heure il voyait si nettement les ombres ? Que crois-tu qu’il répondra si quelqu’un lui vient dire qu’il n’a vu jusqu’alors que de vains fantômes et qu’à présent, plus près de la réalité et tourné vers les objets réels, il voit plus juste ? Comment réagira-t-il si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l’oblige, à force de questions, à dire quel est l’objet qui projetait une ombre ? Ne crois-tu pas que pour lui la réalité pourrait avoir tous ces reliefs ? Ne penses-tu pas qu’il sera embarrassé, et que les ombres qu’il voyait tout à l’heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu’on lui montre maintenant ?
- Et si on le force à regarder la lumière elle-même, ses yeux n’en seront-ils pas blessés ? N’en fuira-t-il pas l’éclat pour retourner aux choses qu’il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu’on lui montre et dont la nature lui fait violence ?
- Et si par force on arrache résolument l’un de ces prisonniers de ses entraves, qu’on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu’on ne le lâche pas avant de l’avoir traîné jusqu’à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-il pas de ces violences ? Lorsqu’on sera parvenu à le traîner jusqu’à la lumière, pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies.
- Il ne le pourra pas, répondit Glaucon, du moins dès l’abord.
- Il aura, je pense, besoin d’habitude pour voir les objets. Il commencera par distinguer plus facilement les ombres, puis il leur associera des silhouettes, ensuite il verra les objets eux-mêmes. Après cela, il pourra affronter la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même, que pendant le jour le soleil et sa lumière.
- A la fin, j’imagine, ce sera le soleil - non les reflets de cet astres - le soleil lui-même qu’il pourra contempler tel qu’il est.
- Après tout cela, il en viendra à conclure au sujet de la lumière que c’est elle qui, d’une certaine façon, est la cause de tout ce qu’il voyait avec ses compagnons dans la demeure souterraine.
- Evidemment, approuva Glaucon, c’est à cette conclusion qu’il arrivera. Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l’on y professe, et de ceux qui y furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu’il se réjouira du changement et plaindra ces derniers ?
- Si, certes.
- Et si dans la caverne, la tradition était notamment de décerner honneurs et louanges, s’il y avait des récompenses pour celui qui saisissait de l’œil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui aient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme serait jaloux de ces distinctions qu’il enviait peut-être lorsqu’il était lui-même dans ces chaînes et carcans ?Penses-tu que notre homme jalouse ces distinctions et qu’il puisse envier ceux qui parmi les prisonniers sont peut-être les plus honorés et puissants ? Ou bien, comme le héros d’Homère, peut-être préférera-t-il être le valet d’un laboureur plutôt que de revenir à son ancienne condition, avec ses croyances qu’il considère certainement comme consternantes.
- Je suis de cet avis, dit Glaucon. Notre homme libéré préférera tout souffrir plutôt que de vivre de la façon qu’il vivait initialement.
- Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s’asseoir à son ancienne place : n’aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil.
- Assurément si, dit Glaucon.
- Et s’il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n’ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (or l’accoutumance à l’obscurité nécessite un temps assez long), n’apprêtera-t-il pas à rire à ses dépends ? Ne diront-ils pas que là où il prétend être allé cela ruine la vue et brouille l’esprit, de sorte que ce serait pure folie d’y aller. Et si quelqu’un tente de les délivrer et de les conduire en haut, et qu’ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, que crois-tu qu’ils feront, ne le tueront-ils pas ?
- Sans aucun doute.
- Maintenant, mon cher Glaucon, il faut appliquer point par point cette allégorie à la relation que nous avons lorsque nous découvrons les choses, lorsque nous apprenons ou que nous enseignons, lorsque nous participons à un projet, que nous dirigeons ou que nous appliquons une décision. Un homme sensé se rappellera que les yeux peuvent être troublés de deux manières et par deux causes opposées : par le passage de la lumière à l’obscurité et par celui de l’obscurité à la lumière. Lorsqu’il verra quelqu’un qui sera troublé, il ne rira pas sottement de cet embarras, mais examinera plutôt si venant d’une vie plus lumineuse, cette personne est par faute d’habitude, offusquée par les ténèbres, ou si faisant le premier chemin, ses yeux ne sont-ils pas éblouis par l’éclat de la lumière.
- Le présent discours montre que, comme on ne peut pas donner la vue à des yeux aveugles, on n’introduit pas l’instruction dans l’esprit. Chacun a la faculté d’apprendre et possède l’organe destiné à cet usage. L’éducation est cet art qui consiste, non pas à donner la vue à l’esprit, puisqu’il l’a déjà, mais à l’amener dans la bonne direction.
- Maintenant, les autres vertus de l’esprit paraissent bien se rapprocher de celles du corps. On ne les a pas tout d’abord, on les peut acquérir dans la suite par l’habitude et l’exercice. Ceux qui apprennent acquièrent des capacités qui peuvent être utilisées de manière avantageuse ou nuisible. La manière dont l’éducation de l’esprit est faite peut l’amener à développer cette malice qui nuit au service du bien.
- Et cependant, si de pareils naturels étaient éduqués pour voir ce qui est juste et bon, qu’on leur apprenait à se défier de ce qui excite et entretient la gourmandise et qui, comme le plomb entraîne inexorablement les choses vers le bas, rend l’esprit aveugle à ses propres injustices ; si, libérés de ces appétits, ils étaient tournés vers la lumière, ces mêmes naturels la verraient avec la plus grande netteté, comme ils voient les objets vers lesquels ils sont maintenant tournés ?
- C’est vraisemblable, approuva Glaucon.
- Mais quoi ! n’est-il pas évident que ni les gens sans éducation et sans connaissance, ni ceux qui passent leur vie dans l’étude de la sagesse, ne sont propres à diriger la cité, les uns parce qu’ils n’ont aucun but fixe auquel ils puissent rapporter tout ce qu’ils font dans la vie privée ou dans la vie publique, les autres parce qu’ils ne consentiront point à s’en charger, préférant leur condition et se laissant transporter par habitude dans les moments de béatitude qui les détourne de la réalité et de cette manière les rend suffisant.
- A nous donc, dit Socrate, de savoir orienter les meilleurs naturels à se tourner vers cette science du bien et à les motiver à faire cette ascension, mais après gardons-nous de leur permettre de rester là-haut, de refuser de redescendre parmi les prisonniers et de partager avec eux les différents travaux et les honneurs habituels.
- Hé quoi ! s’offusqua Glaucon, commettrons-nous à leur égard l’injustice de les forcer à aliéner leur âme, alors qu’il pourrait jouir d’une condition plus heureuse ?
- Tu oublies que cette éducation n’a pas pour objet d’assurer un bonheur exceptionnel à certaines personnes, mais qu’elle a celui de la cité toute entière. A ceux qui seront formés, nous pourrons dire : Il faut que vous descendiez, chacun à votre tour, dans la commune demeure, et que vous vous accoutumiez aux ténèbres qui y règnent ; lorsque vous serez familiarisés avec elles, vous y verrez mille fois mieux que les habitants de ce séjour, et vous connaîtrez la nature de chaque image, et de quel objet elle est l’image, parce que vous aurez contemplé en vérité le beau, le juste et le bien. Ainsi le gouvernement de cette cité qui est la nôtre sera une réalité et non pas un vain songe, comme celui des cités actuelles, où les chefs se battent pour les ombres et se disputent l’autorité, qu’ils regardent comme un grand bien. Voici là-dessus quelle est la vérité : la cité où ceux qui doivent commander sont les moins empressés à rechercher le pouvoir, est la mieux gouvernée et la moins sujette à la sédition, et celle où les chefs sont dans des dispositions contraires se trouvent elle-même dans une situation contraire.
- Avec une éducation pareille, chacun ne viendra au pouvoir que par nécessité, contrairement à ce que font aujourd’hui les chefs dans tous les Etats

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Bibliographies sur le thème de la culture, art, technique

BIBLIOGRAPHIE sur le thème de la culture


 -  Rousseau - Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.
- Kant - Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique.
- Hegel - Leçons sur la philosophie de l'histoire (Introduction).
- Hegel - Esthétique (coll. Textes choisis - P.U.F.)
- Lévi-Strauss - Race et histoire, La pensée sauvage.
- Léo Strauss - Droit naturel et histoire (Introduction).
- Arendt - La crise de la culture (I).
- Taylor - Multiculturalisme, différence et démocratie

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BIBLIOGRAPHIE sur le thème de la technique


   Platon - Le Gorgias
- Platon - Le Protagoras
- Rousseau - Premier discours, Second discours
- Heidegger - La question de la technique
- Arendt - La condition de l'homme moderne, La crise de la culture
- Jonas - Le principe responsabilité
- Serres - Le contrat naturel
- Ferry - Le nouvel ordre écologique

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BIBLIOGRAPHIE sur le thème de l'art


  Platon - La république, X
- Aristote - La poétique
- Hume - Essais esthétique
- Kant - Critique de la faculté de juger
- Hegel - Esthétique (collection PUF textes choisis)
- Arendt - La crise de la culture
- Barthes - Mythologies
- Bourdieu - La distinction

Les textes philosophiques sur le thème de la liberté et du devoir

Quelques textes de référence sur le thème de la liberté/devoir en philosophie


« S’il doit donc y avoir un principe pratique suprême et, vis-à-vis de la volonté humaine, un impératif catégorique, il faut que ce soit quelque chose de tel qu’à partir de la représentation de ce qui est nécessairement un fin pour chacun (parce que c’est une fin en soi), il définisse un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. Le fondement de ce principe est celui-ci : la nature raisonnable existe comme fin en soi. C’est ainsi que l’homme se représente nécessairement sa propre existence ; dans cette mesure il s’agit donc d’un principe subjectif d’actions humaines. Mais tout autre être raisonnable se représente également de cette façon son existence, cela précisément en conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi ; il s’agit donc en même temps d’un principe objectif à partir duquel doivent pouvoir être déduites, comme un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L’impératif pratique sera donc le suivant : agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme fin jamais simplement comme moyen. »
(Kant – Fondements de la Métaphysique des Mœurs – Deuxième Section).

« En fait, il est absolument impossible d’établir par expérience avec une entière certitude un seul cas où la maxime d’une action d’ailleurs conforme au devoir ait uniquement reposé sur des principes moraux et sur la représentation du devoir. Car il arrive parfois sans doute qu’avec le plus scrupuleux examen de nous-mêmes nous ne trouvons absolument rien qui, en dehors du principe moral du devoir, ait pu être assez puissant pour nous pousser à telle ou telle bonne action et à tel grand sacrifice ; mais de là on ne peut nullement conclure avec certitude que réellement ce ne soit point une secrète impulsion de l’amour-propre qui, sous le simple mirage de cette idée, ait été la vraie cause déterminante de la volonté ; c’est que nous nous flattons volontiers en nous attribuant faussement un principe de détermination plus noble ; mais en réalité nous ne pouvons jamais, même par l’examen le plus rigoureux, pénétrer entièrement jusqu’aux mobiles secrets ; or, quand il s’agit de valeur morale, l’essentiel n’est point dans les actions, que l’on voit, mais dans ces principes intérieurs des actions, que l’on ne voit pas. »
 (Kant – Fondements de la métaphysique des mœurs)


« Ceci nous permet de comprendre ce que recouvrent des mots un peu grandiloquents comme angoisse, délaissement, désespoir. Comme vous allez voir, c’est extrêmement simple. D’abord, qu’entend-on par angoisse ? L’existentialiste déclare volontiers que l’homme est angoisse. Cela signifie ceci : l’homme qui s’engage et qui se rend compte qu’il est non seulement celui qu’il choisit d’être, mais encore un législateur choisissant en même temps que soi l’humanité entière, ne saurait échapper au sentiment de sa totale et profonde responsabilité. Certes, beaucoup de gens ne sont pas anxieux ; mais nous prétendons qu’ils se masquent leur angoisse, qu’ils la fuient ; certainement, beaucoup de gens croient en agissant n’engager qu’eux-mêmes, et lorsqu’on leur dit : mais si tout le monde faisait comme ça ? ils haussent les épaules et répondent : tout le monde ne fait pas comme ça. Mais en vérité, on doit toujours se demander : qu’arriverait-il si tout le monde en faisait autant ? et on n’échappe à cette pensée inquiétante que par une sorte de mauvaise foi. Celui qui ment et qui s’excuse en déclarant : tout le monde ne fait pas comme ça, est quelqu’un qui est mal à l’aise avec sa conscience, car le fait de mentir implique une valeur universelle attribuée au mensonge. »
 (Sartre – L’existentialisme est un humanisme)


« Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n’a rien acquis et qui n’ rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme reperdant par la vieillesse ou d’autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d’être forcé de convenir, que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’homme ; que c’est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c’est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature. » (Rousseau – Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes)



« Il n’y a que la seule volonté, que j’expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étendue : en sorte que c’est elle principalement qui me fait connaître que je porte l’image et la ressemblance de Dieu. Car, encore qu’elle soit incomparablement plus grande dans Dieu, que dans moi, soit à raison de la connaissance et de la puissance, qui s’y trouvant jointes la rendent plus ferme et plus efficace, soit à raison de l’objet, d’autant qu’elle se porte et s’étend infiniment à plus de choses ; elle ne me semble pas toutefois plus grande, si je la considère formellement et précisément en elle-même. Car elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas (c'est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne. Car, afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l’un ou l’autre des deux contraires ; mais plutôt, d’autant plus que je penche vers l’un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s’y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l’intérieur de ma pensée, d’autant plus librement j’en fais choix et je l’embrasse. »
(Descartes – Méditations Métaphysiques)

La critique de la liberté d’indifférence peut être illustrée par l’histoire de l’âne de Buridan (exemple emprunté au philosophe médiéval Jean Buridan (vers 1300-1366) pour illustrer la théorie de la liberté d'indifférence) : Un âne, ayant également faim et soif et placé à égale distance d'une botte de foin et d'un seau d'eau, ainsi placé dans l'incapacité de choisir entre l'une et l'autre, se laisserait mourir.

« La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu’un aussi grand nombre d’hommes préfèrent rester mineurs leur vie durant, longtemps après que la nature les a affranchis de toute direction étrangère ; et ces mêmes causes font qu’ils devient si facile à d’autres de se prétendre leurs tuteurs. Il est si aisé d’être mineur ! Avec un livre qui tient lieu d’entendement, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge pour moi de mon régime, etc… je n’ai vraiment pas besoin de me donner moi-même de la peine. Il ne m’est pas nécessaire de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien pour moi de cette ennuyeuse (…).
Dans ce qu’il lui incombe de savoir, un homme peut bien, pour lui-même, et encore seulement pour quelque temps, ajourner l’accession aux Lumières ; mais y renoncer pour lui-même, ou, pire, pour la postérité, cela s’appelle violer les droits sacré de l’humanité et les fouler aux pieds. » (Kant – Qu’est-ce que les Lumières ?)

« Partout où l’on a cherché des responsabilités, c’est l’instinct de la vengeance qui les a cherchées. Cet instinct de la vengeance s’est tellement emparé de l’humanité, au cours des siècles, que toute la métaphysique, psychologie, l’histoire et surtout la morale en portent l’empreinte. (…). Toute la théorie du vouloir, cette funeste falsification de toute la psychologie antérieure, a été inventée essentiellement pour des fins de châtiment. C’est l’utilité sociale du châtiment qui garantissait à cette notion sa dignité, sa puissance, sa vérité. »
(Nietzsche – Volonté de Puissance)


« Il n’y a pas pour cet intellect une mission plus vaste qui dépasserait la vie humaine. Il n’est qu’humain et il n’y a que son possesseur et producteur pour le prendre aussi pathétiquement que si les pivots du monde tournaient en lui. Mais si nous pouvions nous entendre avec la mouche, nous conviendrions qu’elle aussi évolue dans l’air avec le même pathos et sent voler en elle le centre de ce monde. (…)

Cet orgueil lié au connaître et au sentir, bandeau de nuée posé sur les yeux et les sens des hommes, leur fait illusion quant à la valeur de l’existence en portant lui-même sur le connaître l’appréciation la plus flatteuse. Son effet le plus général est l’illusion, mais aussi les effets les plus particuliers portent en eux quelque chose du même caractère. (…) En tant qu’il est un moyen de conservation pour l’individu, l’intellect développe ses forces principales dans la dissimulation ; celle-ci est en effet le moyen par lequel les individus plus faibles, moins robustes, subsistent en tant que ceux à qui il est refusé de mener une lutte pour l’existence avec des cornes ou avec la mâchoire aiguë d’une bête de proie. Chez l’homme cet art de la dissimulation atteint son sommet : l’illusion, la flatterie, le mensonge et la tromperie, les commérages, les airs d’importance, le lustre d’emprunt, le port du masque, le voile de la convention, la comédie pour les autres et pour soi-même, bref le cirque perpétuel de la flatterie pour une flambée de vanité, y sont tellement la règle et la loi que presque rien n’est plus inconcevable que l’avènement d’un honnête et pur instinct de vérité parmi les hommes. (…)
Dans la mesure où, face aux autres individus, l’individu veut se conserver, c’est le plus souvent seulement pour la dissimulation qu’il utilise l’intellect dans un état naturel des choses : mais comme l’homme, à la fois par nécessité et par ennui, veut exister socialement et grégairement, il a besoin de conclure la paix et cherche, conformément à cela, à ce qu’au moins disparaisse de son monde le plus grossier bellum omnium contra omnes[1]. Cette conclusion de paix apporte avec elle quelque chose qui ressemble au premier pas en vue de l’invention de cet énigmatique instinct de vérité. C’est-à-dire qu’est maintenant fixé ce qui désormais doit être « vérité », ce qui veut dire qu’on a trouvé une désignation des choses uniformément valable et obligatoire, et la législation du langage donne même les premières lois de la vérité : car naît ici pour la première fois le contraste de la vérité et du mensonge. Les hommes ne fuient pas tellement le fait d’être trompé que le fait de subir un dommage par la tromperie : au fond, à ce niveau, ils ne haïssent donc pas l’illusion, mais les conséquences fâcheuses et hostiles de certaines sortes d’illusions. C’est dans un sens aussi restreint que l’homme veut seulement la vérité : il convoite les suites agréables de la vérité, celles qui conservent la vie ; envers la connaissance pure et sans conséquence il est indifférent, envers les vérités préjudiciables et destructrices il est même hostilement disposé. (…)
Qu’est-ce donc que la vérité ? Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées et qui, après un long usage, semblent à un peuple fermes, canoniales et contraignantes : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible (…).

Nous ne savons toujours pas encore d’où vient l’instinct de vérité : car jusqu’à présent nous n’avons entendu parler que de l’obligation qu’impose la société pour exister : être véridique, c’est-à-dire employer les métaphores usuelles ; donc, en termes de morale, nous avons entendu parler de l’obligation de mentir selon une convention ferme, de mentir grégairement dans un style contraignant pour tous. L’homme oublie assurément qu’il en est ainsi en ce qui le concerne ; il ment donc inconsciemment de la manière désignée et selon des coutumes centenaires – et, précisément grâce à cette inconscience et à cet oubli, il parvient au sentiment de la vérité. Sur ce sentiment d’être obligé de désigner une chose comme « rouge », une autre comme « froide », une troisième comme « muette », s’éveille une tendance morale à la vérité : par le contraste du menteur en qui personne n’a confiance, que tous excluent, l’homme se démontre à lui-même ce que la vérité a d’honorable, de confiant et d’utile. (….) Tout ce qui distingue l’homme de l’animal dépend de cette capacité de faire se volatiliser les métaphores intuitives en un schème, donc de dissoudre une image dans un concept. Dans le domaine de ces schèmes est possible quelque chose qui jamais ne pourrait réussir au milieu des premières impressions intuitives : construire un ordre pyramidal selon des castes et des degrés, créer un monde nouveau de lois, de privilèges, de subordinations, de délimitations, monde qui s’oppose désormais à l’autre monde, celui des premières impressions, comme étant ce qu’il y a de plus ferme, de plus général, de plus connu, de plus humain, et, de ce fait, comme ce qui est régulateur et impératif. »
 (Nietzsche – Introduction théorétique à la vérité et au mensonge au sens extra-moral).


« Nous n'accusons pas la nature d'immoralité quand elle nous envoie un orage et nous trempe: pourquoi disons-nous donc immoral l'homme qui fait quelque chose de mal? Parce que nous supposons ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur. En outre, ce n'est même pas en toutes circonstances que nous appelons immorale une action intentionnellement nuisible; on tue par exemple une mouche délibérément, mais sans le moindre scrupule, pour la pure et simple raison que son bourdonnement nous déplaît, on punit et fait intentionnellement souffrir le criminel afin de se protéger, soi et la société. Dans le premier cas, c'est l'individu qui, pour se conserver ou même pour s'éviter un déplaisir, cause intentionnellement un mal; dans le second, c'est l'État. Toute morale admet les actes intentionnellement nuisibles en cas de légitime défense, c'est-à-dire quand il s'agit de conservation. Mais ces deux points de vue suffisent à expliquer toutes les mauvaises actions exercées par des hommes sur les hommes: on veut son plaisir, on veut s'éviter le déplaisir; en quelque sens que ce soit, il s'agit toujours de sa propre conservation. Socrate et Platon ont bien raison : quoi que l'homme fasse, il fait toujours le bien, c'est-à-dire ce qui lui semble bon (utile) suivant son degré d'intelligence, son niveau actuel de raison. »
 (Nietzsche – Humain trop humain)

« 1.
Elever un animal qui puisse promettre n’est-ce pas là cette tache paradoxale que la nature s’est données à propos de l’homme ? N’est-ce pas là le problème véritable de l’homme ?... Que ce problème soit résolu dans une large mesure, voilà qui ne laissera pas d’étonner celui qui sait bien quelle force s’y oppose : la force de l’oubli. L’oubli n’est pas une simple vis inertiae, comme le croient les esprits superficiels, c’est bien plutôt une faculté d’inhibition active, une faculté positive dans toute la force du terme ; grâce à lui toutes nos expériences, tout ce que nous ne faisons que vivre, qu’absorber, ne devient pas plus conscient, pendant que nous le digérons (ce qu’on pourrait appeler assimilation psychique), que le processus multiple de la nutrition physique qui est une assimilation par le corps. (…) : on voit aussitôt pourquoi sans oubli il ne pourrait y avoir ni bonheur, ni sérénité, ni espoir, ni fierté, ni présent. (…) Eh bien cet animal nécessairement oublieux, pour qui l’oubli représente une force, la condition d’une santé robuste, a fini par acquérir une faculté contraire, la mémoire, à l’aide de laquelle, dans des cas déterminés, l’oubli est suspendu – à savoir dans les cas où il s’agit de promettre : il ne s’agit nullement là de l’impossibilité purement passive de se délivrer d’une impression du passé, nullement d’une indigestion causée par une parole donnée, dont on n’arrive pas à se débarrasser, mais bien d’une volonté active de ne pas se délivrer, d’une volonté qui persiste à vouloir ce qu’elle a une fois voulu, à proprement parler d’une mémoire de la volonté : si bien qu’entre le « je veux », le « je ferai » initial et cette véritable décharge de la volonté qu’est l’accomplissement de l’acte, tout un monde de choses nouvelles ou étrangères, de faits et même d’actes volontaires peut très bien s’intercaler sans rompre la longue chaîne de la volonté. Mais que de conditions cela n’exige-t-il pas ! Pour pouvoir à ce point disposer à l’avance de l’avenir, combien l’homme a-t-il dû d’abord apprendre à séparer le nécessaire du contingent, à penser sous le rapport de la causalité, à voir le lointain comme s’il était présent et à l’anticiper, à voir avec certitude ce qui est but et ce qui est moyen pour l’atteindre, à calculer et à prévoir – combien l’homme lui-même a-t-il dû d’abord devenir prévisible, régulier, nécessaire y compris dans la représentation qu’il se fait de lui-même, pour pouvoir finalement, comme le fait quelqu’un qui promet, répondre de lui-même comme avenir.
2.
Voilà donc la longue histoire des origines de la responsabilité. La tâche d’élever un animal qui puisse promettre, suppose, comme nous l’avons déjà compris, qu’une autre tâche a été accomplie au préalable, celle de rendre l’homme jusqu’à un certain point uniforme, égal parmi les égaux, régulier, et par conséquent calculable. L’énorme travail de ce que j’ai appelé « la moralité des mœurs » - le véritable travail de l’homme sur lui-même pendant la plus longue période de l’espèce humaine, tout son travail préhistorique trouve ici son sens, sa grande justification, quelles que soient d’ailleurs la dureté, la tyrannie, l’hébétude et l’idiotie qui lui sont propres : la moralité des mœurs et la camisole de force sociale ont rendu l’homme vraiment prévisible.»
(Nietzsche - Généalogie de la morale, deuxième dissertation : la « faute », la « mauvaise conscience » et ce qui leur ressemble).
Etudes sur la séquence "la morale" en philosophie, la liberté, la volonté, le devoir

liberté d'indifférence ou de non indifférence
Textes philosophiques sur les thèmes de la liberté et du devoir
Liberté et égalité chez Hegel
Peut on penser le hasard? Vidéo du site évènements et culture
Fatalisme, déterminisme et libre arbitre
La dimension politique et métaphysique de la liberté, vidéo du site netprof
La dimension psychologique de la liberté, vidéo du site netprof
La spécificité de la morale vidéo du site netprof
la question de dieu et de la liberté
la liberté selon la bonne volonté, Kant
La liberté chez Kant
L'aliénation par la liberté
Le concept de liberté en référence au mal
La question du mal dans l'Emile de Jean Jacques Rousseau
Liberté et volonté
Etude du thème de la liberté, préparation au bac

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Textes et bibliographies sur le thème du bonheur

Quelques textes de référence sur le thème du bonheur, le bonheur et le désir pour vous aider dans vos devoirs de philosophie

BIBLIOGRAPHIE

Aristote, Ethique à Nicomaque, I.
- Epicure, Lettre à Ménécée.
- Hegel, La Raison dans l'histoire, Leçons sur la philosophie de l'histoire, introduction.
- Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs.
- Platon, Gorgias.
- Abbé Prévost - Manon Lescaut.


« - Socrate : Rien de compliqué ; j’entends, comme le vulgaire, être tempérant et maître de soi et commander en soi aux plaisirs et aux passions.
- Calliclès : Que tu est plaisant ! Ce sont les imbéciles que tu appelles tempérants.
- S. : Comment cela ! qui ne voit que ce n’est pas d’eux que je parle ?
- C. : C’est deux très certainement, Socrate. Comment en effet un homme pourrait-il être heureux, s’il est esclave de quelqu’un. Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent.
Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu’il décrie les gens qui en sont capables, parce qu’il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l’intempérance est une chose laide, essayant par là d’asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l’éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! Et comment ne seraient-ils pas malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance (… ?). La vérité, que tu prétends chercher Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.
- S. : (…) Considère si tu ne pourrais assimiler chacune de ces deux vies, la tempérante et l’incontinente, au cas de deux hommes dont chacun posséderait de nombreux tonneaux, l’un des tonneaux en bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait et beaucoup d’autres remplis d’autres liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme n’y verserait plus rien, ne s’en inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. L’autre aurait, comme le premier, des liqueurs qu’il pourrait se procurer, quoique avec peine, mais n’ayant que des tonneaux percés et fêlés, il serait forcé de les remplir jour et nuit sans relâche, sous peine des plus grand ennuis. Si tu admets que les deux vies sont pareilles au cas de ces deux hommes, est-ce que tu soutiendras que la vie de l’homme déréglé est plus heureuse que celle de l’homme réglé ? Mon allégorie t’amène-t-elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie déréglée, ou n’es-tu pas convaincu ? »

Platon – Gorgias

« (…) attaquer les passions à la racine, c’est attaquer la vie à la racine : la pratique de l’Eglise est hostile à la vie…
Le même moyen, couper, arracher, est instinctivement choisi, dans la lutte contre un désir, par ceux qui sont trop faibles de volonté, trop dégénérés pour garder la mesure dans la satisfaction de ce désir : par ces natures qui ont besoin de la trappe, au sens figuré (et au sens propre…), d’une déclaration de guerre à outrance, de mettre un abîme entre eux et une passion. Il faut être dégénéré pour avoir recours aux solutions radicales ; la faiblesse de la volonté, plus exactement l’incapacité à s’empêcher de réagir à une sollicitation, n’est elle-même qu’une forme de dégénérescence. L’hostilité radicale, à mort, envers la sensualité est un symptôme qui laisse songeur : il justifie qu’on s’interroge sur l’état général d’un être porté à ce point à l’excès. »

Nietzsche – Crépuscule des idoles ( §1 et 2)



Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère, et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. En effet, l'homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même ; rien n'embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu'on voit ; l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Être existant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas. […]
Vivre sans peine n'est pas un état d'homme ; vivre ainsi c'est être mort. Celui qui pourrait tout sans être Dieu, serait une misérable créature ; il serait privé du plaisir de désirer ; toute autre privation serait plus supportable.

Jean-Jacques Rousseau – La Nouvelle Héloïse



C’est un fait indiscutable que ceux qui connaissent également deux manières de vivre et qui sont également capables de les apprécier et d’en jouir donnent une préférence marquée pour celle qui emploie leurs facultés supérieures. Peu de créatures humaines consentiraient à être transformées en l’un des animaux les plus vils parce qu’on leur promettrait de leur allouer les plaisirs des bêtes ; aucun être humain intelligent ne consentirait à devenir imbécile, aucune personne instruite à devenir ignorante, aucune personne de cœur ou de conscience à devenir égoïste et vile, même s’ils étaient convaincus que l’imbécile, l’ignorant et le vaurien sont plus satisfaits de leur lot qu’eux du leur. Ils ne voudraient pas renoncer pas à ce qu’ils possèdent de plus qu’eux pour la plus complète satisfaction de tous les désirs qu’ils ont en commun avec eux. Si jamais ils imaginent qu’ils le voudraient, c’est seulement dans les situations de malheur si extrêmes que, pour y échapper, ils échangeraient leur lot contre n’importe lequel, même s’il leur paraît indésirable. Un être qui a des capacités supérieures exige plus qu’un être d’un type inférieur pour être heureux, il est probablement capable de souffrir de façon plus aiguë et il est certainement vulnérable sur plus de points. Mais, en dépit de ce handicap, jamais il ne saurait réellement souhaiter tomber dans ce qu’il sent être un degré plus bas d’existence. Nous pouvons bien donner à cette réticence l’explication que nous voulons ; nous pouvons l’attribuer à l’orgueil, nom qui est donné sans distinction à certains des plus estimables sentiments – et des moins estimables – dont l’humanité est capable ; nous pouvons la ramener à l’amour de la liberté et de l’indépendance personnelle auquel les stoïciens faisaient appel comme à l’un des moyens les plus efficaces pour inculquer cette réticence ; à l’amour du pouvoir ou des sensations fortes (excitement) qui entrent tous les deux pour une part dans cette réticence ou y contribuent. Mais l’appellation la plus appropriée, c’est le sens de la dignité que tous les êtres humains possèdent sous une forme ou sous une autre et que certains possèdent – mais le rapport n’est pas toujours rigoureux – à proportion de leurs facultés supérieures, sens qui est une part si essentielle du bonheur chez ceux chez qui il est intense que rien de ce qui s’y oppose ne pourrait autrement que de façon momentanée être pour eux un objet de désir. Quiconque suppose que cette préférence est un sacrifice du bonheur, que l’être supérieur, dans des circonstances identiques, n’est pas plus heureux que l’être inférieur, confond deux idées très différentes, l’idée de bonheur (happiness) et l’idée de satisfaction (content). Indiscutablement, l’être dont les capacités de jouissance sont d’un niveau inférieur a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites tandis qu’un être supérieurement doué sentira toujours que le bonheur qu’il recherche, vu la façon dont le monde est constitué, est imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ces imperfections, pour peu qu’elles soient supportables et il ne sera pas jaloux d’un être qui, à vrai dire, est inconscient des imperfections parce qu’il ne sent pas tout le bien qu’elles donnent. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait, il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et, si l’imbécile et le porc sont d’opinions différentes, c’est seulement parce qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question. L’autre partie, pour la comparaison, connaît les deux côtés.

John Stuart Mill – L’utilitarisme

« Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s’il était pris d’une manière absolue et isolée rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences très directes qu’a tirées de ce principe un philosophe allemand [il s’agit de Kant bien sûr] qui va jusqu’à prétendre qu’envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime. (…). Je prends pour exemple le principe moral que je viens de citer, que dire la vérité est un devoir. Ce principe isolé est inapplicable. Il détruirait la société. Mais si vous le rejetez, la société n’en sera pas moins détruite, car toutes les bases de la morale seront renversées. Il faut donc chercher le moyen d’application, et pour cet effet, il faut, comme nous venons de le dire, définir le principe. Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. Voilà, ce me semble, le principe devenu applicable. En le définissant, nous avons découvert le lien qui l’unissait à un autre principe, et la réunion des deux principes nous a fourni la solution à la difficulté qui nous arrêtait. »

Benjamin Constant – Des réactions politiques, III


« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. C’est-à-dire que la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore atteint lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie universelle de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantasmagorique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l’arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.

Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.
La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.
C’est donc la tâche de l’histoire, après la disparition de l’Au-delà de la vérité, d’établir la vérité de ce monde-ci. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois démasquée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non sacrées. La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.


Marx – Critique du droit politique hégélien

« Le gouvernement arbitraire d'un prince juste et éclairé est toujours mauvais. Ses vertus sont la plus dangeureuse et la plus sûre des séductions : elles accoutument insensiblement un peuple à aimer, à respecter, à servir son successeur, quel qu'il soit, méchant et stupide. Il enlève au peuple le droit de délibérer, de vouloir ou ne vouloir pas, de s'opposer même à sa volonté, lorsqu'il ordonne le bien ; cependant ce droit d'opposition, tout insensé qu'il est, est sacré: sans quoi les sujets ressemblent à un troupeau dont on méprise la réclamation, sous prétexte qu'on le conduit dans de gras pâturages. En gouvernant selon son bon plaisir, le tyran commet le plus grand des forfaits. Qu'est-ce qui caractérise le despote ? Est-ce la bonté ou la méchanceté ? Nullement. Ces deux notions n'entrent seulement pas dans sa définition. C'est l'étendue et non l'usage de l'autorité qu'il s'arroge. Un des plus grands malheurs qui pût arriver à une nation, ce seraient deux ou trois règnes d'une puissance juste, douce, éclairée, mais arbitraire : les peuples seraient conduits par le bonheur à l'oubli complet de leurs privilèges, au plus parfait esclavage. »

Diderot – Lettre à Helvétius


LE BONHEUR / LE DESIR

« - Socrate : Rien de compliqué ; j’entends, comme le vulgaire, être tempérant et maître de soi et commander en soi aux plaisirs et aux passions.
- Calliclès : Que tu est plaisant ! Ce sont les imbéciles que tu appelles tempérants.
- S. : Comment cela ! qui ne voit que ce n’est pas d’eux que je parle ?
- C. : C’est deux très certainement, Socrate. Comment en effet un homme pourrait-il être heureux, s’il est esclave de quelqu’un. Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent.

Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu’il décrie les gens qui en sont capables, parce qu’il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l’intempérance est une chose laide, essayant par là d’asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l’éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! Et comment ne seraient-ils pas malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance (… ?). La vérité, que tu prétends chercher Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.
- S. : (…) Considère si tu ne pourrais assimiler chacune de ces deux vies, la tempérante et l’incontinente, au cas de deux hommes dont chacun posséderait de nombreux tonneaux, l’un des tonneaux en bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait et beaucoup d’autres remplis d’autres liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme n’y verserait plus rien, ne s’en inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. L’autre aurait, comme le premier, des liqueurs qu’il pourrait se procurer, quoique avec peine, mais n’ayant que des tonneaux percés et fêlés, il serait forcé de les remplir jour et nuit sans relâche, sous peine des plus grand ennuis. Si tu admets que les deux vies sont pareilles au cas de ces deux hommes, est-ce que tu soutiendras que la vie de l’homme déréglé est plus heureuse que celle de l’homme réglé ? Mon allégorie t’amène-t-elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie déréglée, ou n’es-tu pas convaincu ? »

Platon – Gorgias


« (…) attaquer les passions à la racine, c’est attaquer la vie à la racine : la pratique de l’Eglise est hostile à la vie…
Le même moyen, couper, arracher, est instinctivement choisi, dans la lutte contre un désir, par ceux qui sont trop faibles de volonté, trop dégénérés pour garder la mesure dans la satisfaction de ce désir : par ces natures qui ont besoin de la trappe, au sens figuré (et au sens propre…), d’une déclaration de guerre à outrance, de mettre un abîme entre eux et une passion. Il faut être dégénéré pour avoir recours aux solutions radicales ; la faiblesse de la volonté, plus exactement l’incapacité à s’empêcher de réagir à une sollicitation, n’est elle-même qu’une forme de dégénérescence. L’hostilité radicale, à mort, envers la sensualité est un symptôme qui laisse songeur : il justifie qu’on s’interroge sur l’état général d’un être porté à ce point à l’excès. »

Nietzsche – Crépuscule des idoles ( §1 et 2)

« C’est un fait indiscutable que ceux qui connaissent également deux manières de vivre et qui sont également capables de les apprécier et d’en jouir donnent une préférence marquée pour celle qui emploie leurs facultés supérieures. Peu de créatures humaines consentiraient à être transformées en l’un des animaux les plus vils parce qu’on leur promettrait de leur allouer les plaisirs des bêtes ; aucun être humain intelligent ne consentirait à devenir imbécile, aucune personne instruite à devenir ignorante, aucune personne de cœur ou de conscience à devenir égoïste et vile, même s’ils étaient convaincus que l’imbécile, l’ignorant et le vaurien sont plus satisfaits de leur lot qu’eux du leur. Ils ne voudraient pas renoncer pas à ce qu’ils possèdent de plus qu’eux pour la plus complète satisfaction de tous les désirs qu’ils ont en commun avec eux. Si jamais ils imaginent qu’ils le voudraient, c’est seulement dans les situations de malheur si extrêmes que, pour y échapper, ils échangeraient leur lot contre n’importe lequel, même s’il leur paraît indésirable. Un être qui a des capacités supérieures exige plus qu’un être d’un type inférieur pour être heureux, il est probablement capable de souffrir de façon plus aiguë et il est certainement vulnérable sur plus de points. Mais, en dépit de ce handicap, jamais il ne saurait réellement souhaiter tomber dans ce qu’il sent être un degré plus bas d’existence. Nous pouvons bien donner à cette réticence l’explication que nous voulons ; nous pouvons l’attribuer à l’orgueil, nom qui est donné sans distinction à certains des plus estimables sentiments – et des moins estimables – dont l’humanité est capable ; nous pouvons la ramener à l’amour de la liberté et de l’indépendance personnelle auquel les stoïciens faisaient appel comme à l’un des moyens les plus efficaces pour inculquer cette réticence ; à l’amour du pouvoir ou des sensations fortes (excitement) qui entrent tous les deux pour une part dans cette réticence ou y contribuent. Mais l’appellation la plus appropriée, c’est le sens de la dignité que tous les êtres humains possèdent sous une forme ou sous une autre et que certains possèdent – mais le rapport n’est pas toujours rigoureux – à proportion de leurs facultés supérieures, sens qui est une part si essentielle du bonheur chez ceux chez qui il est intense que rien de ce qui s’y oppose ne pourrait autrement que de façon momentanée être pour eux un objet de désir. Quiconque suppose que cette préférence est un sacrifice du bonheur, que l’être supérieur, dans des circonstances identiques, n’est pas plus heureux que l’être inférieur, confond deux idées très différentes, l’idée de bonheur (happiness) et l’idée de satisfaction (content). Indiscutablement, l’être dont les capacités de jouissance sont d’un niveau inférieur a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites tandis qu’un être supérieurement doué sentira toujours que le bonheur qu’il recherche, vu la façon dont le monde est constitué, est imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ces imperfections, pour peu qu’elles soient supportables et il ne sera pas jaloux d’un être qui, à vrai dire, est inconscient des imperfections parce qu’il ne sent pas tout le bien qu’elles donnent. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait, il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et, si l’imbécile et le porc sont d’opinions différentes, c’est seulement parce qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question. L’autre partie, pour la comparaison, connaît les deux côtés. »

John Stuart Mill – L’utilitarisme


« Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s’il était pris d’une manière absolue et isolée rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences très directes qu’a tirées de ce principe un philosophe allemand [il s’agit de Kant bien sûr] qui va jusqu’à prétendre qu’envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu’ils poursuivent n’est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime. (…). Je prends pour exemple le principe moral que je viens de citer, que dire la vérité est un devoir. Ce principe isolé est inapplicable. Il détruirait la société. Mais si vous le rejetez, la société n’en sera pas moins détruite, car toutes les bases de la morale seront renversées. Il faut donc chercher le moyen d’application, et pour cet effet, il faut, comme nous venons de le dire, définir le principe. Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. Voilà, ce me semble, le principe devenu applicable. En le définissant, nous avons découvert le lien qui l’unissait à un autre principe, et la réunion des deux principes nous a fourni la solution à la difficulté qui nous arrêtait. »


Benjamin Constant – Des réactions politiques, III

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. C’est-à-dire que la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore atteint lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie universelle de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantasmagorique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l’arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.
Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.

La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.
C’est donc la tâche de l’histoire, après la disparition de l’Au-delà de la vérité, d’établir la vérité de ce monde-ci. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois démasquée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non sacrées. La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.


Marx – Critique du droit politique hégélien

« Le gouvernement arbitraire d'un prince juste et éclairé est toujours mauvais. Ses vertus sont la plus dangeureuse et la plus sûre des séductions : elles accoutument insensiblement un peuple à aimer, à respecter, à servir son successeur, quel qu'il soit, méchant et stupide. Il enlève au peuple le droit de délibérer, de vouloir ou ne vouloir pas, de s'opposer même à sa volonté, lorsqu'il ordonne le bien ; cependant ce droit d'opposition, tout insensé qu'il est, est sacré: sans quoi les sujets ressemblent à un troupeau dont on méprise la réclamation, sous prétexte qu'on le conduit dans de gras pâturages. En gouvernant selon son bon plaisir, le tyran commet le plus grand des forfaits. Qu'est-ce qui caractérise le despote ? Est-ce la bonté ou la méchanceté ? Nullement. Ces deux notions n'entrent seulement pas dans sa définition. C'est l'étendue et non l'usage de l'autorité qu'il s'arroge. Un des plus grands malheurs qui pût arriver à une nation, ce seraient deux ou trois règnes d'une puissance juste, douce, éclairée, mais arbitraire : les peuples seraient conduits par le bonheur à l'oubli complet de leurs privilèges, au plus parfait esclavage. »

Diderot – Lettre à Helvétius

« Entre les désirs et leurs réalisations s’écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon, c’est le dégoût, le vide, l’ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. – Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l’un et de l’autre, descend à son minimum ; et c’est là la plus heureuse vie. Car il est bien d’autres moments, qu’on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu’on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde ; c’est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes bien rares ; elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe ; au reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure, qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du vulgaire plus grossier, et fait d’eux, en somme, des solitaires au milieu d’une foule toute différente d’eux ; ainsi se rétablit l’équilibre. Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressée les dépasse ; ils sont réduits au simple vouloir. »

Schopenhauer – Le monde comme volonté et comme représentation


« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et plus généralement, de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. Et ceci me semblait être suffisant pour m’empêcher de rien désirer à l’avenir que je n’acquisse, et ainsi pour me rendre content. Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou du Mexique ; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d’être sains, étant malades, ou d’être libres, étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps d’une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. »

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Textes et bibliographies sur les thèmes de la conscience et de l'inconscient

Quelques textes de référence sur le thème de la conscience et de l'inconscient en philosophie



BIBLIOGRAPHIE

- Bergson, La conscience et la vie, La Pensée et le Mouvant.
- Descartes, Méditations Métaphysiques.
- Freud, Cinq Leçons de Psychanalyse, Introduction à la psychanalyse, Sur le rêve.
- Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, III, 4.
- Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
- Sartre, L'existentialisme est un humanisme. 

 -Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.
"J’ai un mot à dire à ceux qui méprisent le corps. Je ne leur demande pas de changer d’avis ni de doctrine, mais de se défaire de leur propre corps – ce qui les rendra muets.

« Je suis corps et âme » - ainsi parle l’enfant. Et pourquoi ne parlerait-on pas comme les enfants ?
Mais l’homme éveillé à la conscience et à la connaissance dit : « Je suis tout entier corps, et rien d’autre ; l’âme est un mot qui désigne une partie du corps. »
Le corps est une grande raison, une multitude unanime, un état de paix et de guerre, un troupeau et son berger.
Cette petite raison que tu appelles ton esprit, ô mon frère, n’est qu’un instrument de ton corps, et un bien petit instrument, un jouet de ta grande raison.

Tu dis « moi », et tu es fier de ce mot. Mais il y a quelque chose de grand, à quoi tu refuses de croire, c’est ton corps et sa grande raison ; il ne dit pas moi, mais il agit en Moi.

Ce que pressent l’intelligence, ce que reconnaît l’esprit n’a jamais sa fin en soi. Mais l’intelligence et l’esprit voudraient te convaincre qu’ils sont la fin de toute chose ; telle est leur fatuité.
Intelligence et esprit ne sont qu’instruments et jouets ; le Soi se situe au-delà. Le Soi s’informe aussi par les yeux des sens, il écoute aussi par les oreilles de l’esprit.
Le Soi est sans cesse à l’affût, aux aguets ; il compare, il soumet, il conquiert, il détruit. Il règne, il est aussi le maître du Moi.
Par-delà tes pensées et tes sentiments, mon frère, il y a un maître puissant, un sage inconnu, qui s’appelle le Soi. Il habite ton corps, il est ton corps.
Il y a plus de raison dans ton corps que dans l’essence même de ta sagesse. Et qui sait pourquoi ton corps a besoin de l’essence de ta sagesse ?
Ton Soi rit de ton Moi et de ses bonds prétentieux. « Que m’importent ces bonds et ces envols de la pensée ? se dit-il. Ils me détournent de mon but. Car je tiens le Moi en lisière et je lui souffle ses pensées. »
Le Soi dit au Moi : « Souffre à présent. » Et le Moi souffre et se demande comment faire pour ne plus souffrir – c’est à cette fin que doit lui servir la pensée.
Le Soi dit au Moi : « Jouis à présent. » Et le Moi ressent de la joie et se demande comment faire pour goûter souvent encore la joie – c’est à cette fin que doit lui servir la pensée.
Je veux dire leur fait à ceux qui méprisent le corps. Leur mépris est la substance de leur respect. Qu’est-ce donc qui a créé estime et mépris, valeur et volonté ?
Le Soi créateur a créé à son usage le respect et le mépris, il a créé à son usage la joie et la peine. Le corps créateur a formé l’esprit à son usage pour être la main de son vouloir.
Jusque dans votre folie et dans votre mépris, contempteurs du corps, vous servez votre Soi. Je vous le dis, c’est votre Soi qui veut mourir et se détourne de la vie.
Il ne peut plus faire ce qu’il aime par-dessus tout : créer ce qui le dépasse ; c’est là l’objet de son désir suprême, de toute sa ferveur.
Mais à présent il est trop tard – aussi votre Soi veut-il mourir, ô contempteurs du corps.
Votre Soi veut périr, et pour cette raison vous êtes devenus les contempteurs du corps. Car vous n’êtes plus aptes à créer ce qui vous dépasse.
Et c’est pourquoi vous vous irritez contre la vie et la terre. Il y a une jalousie inconsciente dans le regard louche de votre mépris.
Je ne suivrai pas vos voies, contempteurs du corps. Vous n’êtes pas les ponts qui mènent au Surhumain.
Ainsi parlait Zarathoustra."

Marx/Engels – L'idéologie allemande (1845-1846)
« A l'encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ils sont dans les paroles, la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os ; non, on part des hommes dans leur activité réelle ; c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Et même, les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l'on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles. De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l'individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l'on considère la conscience uniquement comme leur conscience. »


Freud.
1. « La psychanalyse se refuse à considérer la conscience comme formant l’essence même de la vie psychique, mais voit dans la conscience une simple qualité de celle-ci. » (Essais de Psychanalyse.)
2. « l’un des buts de la psychanalyse est de parvenir à soulever le voile d’amnésie qui recouvre les premières années de l’enfance,n de rappeler au souvenir conscient les manifestations de la vie sexuelle de la première enfance. » (Nouvelles conférences sur la psychanalyse)
3. « Nous admettons que la vie psychique est la fonction d’un appareil auquel nous attribuons une étendue spatiale et que nous supposons formé de plusieurs parties. » (Abrégé de Psychanalyse)
4. « Nous ne voulons pas seulement décrire et classer les phénomènes ; nous voulons aussi les concevoir comme étant des indices d’un jeu de forces s’accomplissant dans l’âme, comme la manifestation de tendances ayant un but défini et travaillant soit dans la même direction, soit dans des directions opposées. » (Introduction à la psychanalyse).
5. « Nous ne demandons pas au patient de dire ce qu’il sait, ce qu’il dissimule à autrui, mais aussi ce qu’il ne sait pas […]. Le patient est obligé de nous révéler non seulement ce qu’il raconte intentionnellement et de bon gré, ce qui le soulage comme une confession, mais encore […] tout ce qui lui vient à l’esprit même si cela lui est désagréable à dire, même si cela lui semble inutile, voire saugrenu. » (Abrégé de Psychanalyse).
6. « Le travail analytique nécessaire pour expliquer et supprimer une maladie ne s’arrête jamais aux événements de l’époque où elle se produisit, mais remonte toujours jusqu’à la puberté et à la première enfance du malade ; là, elle rencontre les évènements et les impressions qui ont déterminé la maladie ultérieure. Ce n’est que si l’on découvre ces évènements de l’enfance que l’on peut expliquer la sensibilité à l’égard des traumas postérieurs, et c’est en rendant conscients ces souvenirs généralement oubliés que nous acquérons le pouvoir de supprimer les symptômes. Nous arrivons ici aux mêmes résultats que dans l’étude des rêves, à savoir que ce sont les désirs inéluctables et refoulés de l’enfance qui ont prêté leur puissance à la formation des symptômes sans lesquels la réaction aux traumas postérieurs aurait pris un cours normal. Ces puissants désirs de l’enfant, je les considère, d’une manière générale, comme sexuels. » (Cinq leçons de psychanalyse).


Henri Bergson – Le Rire
« Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âmes qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les milles résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. »

Merleau-Ponty – Phénoménologie de la perception.
« Je perçois autrui comme comportement, par exemple, je perçois le deuil ou la colère d’autrui dans sa conduite, sur son visage et sur ses mains, sans aucun emprunt à une expérience « interne » de la souffrance ou de la colère et parce que deuil et colère sont des variations de l’être au monde, indivises entre le corps et la conscience, et qui se posent aussi bien sur la conduite d’autrui, visible dans son corps phénoménal, que sur ma propre conduite telle qu’elle s’offre à moi. Mais enfin, le comportement d’autrui et même les paroles d’autrui ne sont pas autrui. Le deuil d’autrui et sa colère n’ont jamais exactement le même sens pour lui et pour moi. Pour lui, ce sont des situations vécues, pour moi ce sont des situations apprésentées. Ou si je peux, par un mouvement d’amitié, participer à ce deuil et à cette colère, ils restent le deuil et la colère de mon ami Paul : Paul souffre parce qu’il a perdu sa femme ou il est en colère parce qu’on lui a volé sa montre, je souffre parce que Paul a de la peine, je suis en colère parce qu’il est en colère, les situations ne sont pas superposables. Et si enfin nous faisons quelque projet en commun, ce projet n’est pas un seul projet, et il ne s’offre pas sous les mêmes aspects pour moi et pour Paul, nous n’y tenons pas autant l’un que l’autre, ni en tous cas de la même façon, du seul fait que Paul est Paul et que je suis moi. Nos consciences ont beau, à travers nos situations propres, construire une situation commune dans laquelle elles communiquent, c’est du fond de sa subjectivité que chacun projette ce monde « unique ».



Sartre – L’être et le néant
« J’ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai découvert un autre aspect de mon être. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaître sur le plan réflexif, la honte n’est pas originellement un phénomène de réflexion. En effet, quels que soient les résultats que l’on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j’ai honte. Il est certain que ma honte n’est pas réflexive, car la présence d’autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d’un catalyseur, est incompatible avec l’attitude réflexive : dans le champ de ma réflexion je ne puis jamais rencontrer que la conscience qui est mienne. Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte tel que j’apparais à autrui. Et, par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est pas une vaine image dans l’esprit d’un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me « toucher ». Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je n’ai pas ; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. Il ne s’agit cependant pas de la comparaison de ce que je suis pour moi à ce que je suis pour autrui, comme si je trouvais en moi, sur le mode d’être du pour-soi, un équivalent de ce que je suis pour autrui. D’abord cette comparaison ne se rencontre pas en nous, à titre d’opération psychique concrète : la honte est un frisson immédiat qui me parcourt de la tête aux pieds sans aucune préparation discursive. Ensuite, cette comparaison est impossible : je ne puis mettre en rapport ce que je suis dans l’intimité sans distance, sans recul, sans perspective du pour-soi avec cet être injustifiable et en-soi que je suis pour autrui. Il n’y a ici ni étalon, ni table de correspondance. La notion même de vulgarité implique d’ailleurs une relation intermonadique. On n’est pas vulgaire tout seul. Ainsi autrui ne m’a pas seulement révélé ce que j’étais : il m’a constitué sur un type d’être nouveau qui doit supporter des qualifications nouvelles. »

Texte dit par Jean-Paul Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de la pièce en 1965.
« Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit Huis Clos, vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est à dire , je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais , s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais faire sortir l'une d'elles et les garder sur la scène jusqu'au bout comme pour l'éternité. C'est là que m'est venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite d'ailleurs, je dois dire , ces trois amis n'ont pas joué la pièce et , comme vous le savez c'est Vitold, Tania Balachova et Gaby Sylvia qui l'ont jouée. Mais il y avait à ce moment-là des soucis plus généraux et j'ai voulu exprimer autre chose dans la pièce que simplement ce que l'occasion me donnait. J'ai voulu dire : l'enfer , c'est les autres. Mais "l'enfer, c'est les autres" a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux. Or, c'est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut-être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons ses connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoique je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.