Quelques textes de référence sur le thème de la conscience et de l'inconscient en philosophie
BIBLIOGRAPHIE
- Bergson, La conscience et la vie, La Pensée et le Mouvant.
- Descartes, Méditations Métaphysiques.
- Freud, Cinq Leçons de Psychanalyse, Introduction à la psychanalyse, Sur le rêve.
- Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, III, 4.
- Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
- Sartre, L'existentialisme est un humanisme.
-Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.
"J’ai un mot à dire à ceux qui méprisent le corps. Je ne leur demande pas de changer d’avis ni de doctrine, mais de se défaire de leur propre corps – ce qui les rendra muets.
« Je suis corps et âme » - ainsi parle l’enfant. Et pourquoi ne parlerait-on pas comme les enfants ?
Mais l’homme éveillé à la conscience et à la connaissance dit : « Je suis tout entier corps, et rien d’autre ; l’âme est un mot qui désigne une partie du corps. »
Le corps est une grande raison, une multitude unanime, un état de paix et de guerre, un troupeau et son berger.
Cette petite raison que tu appelles ton esprit, ô mon frère, n’est qu’un instrument de ton corps, et un bien petit instrument, un jouet de ta grande raison.
Tu dis « moi », et tu es fier de ce mot. Mais il y a quelque chose de grand, à quoi tu refuses de croire, c’est ton corps et sa grande raison ; il ne dit pas moi, mais il agit en Moi.
Ce que pressent l’intelligence, ce que reconnaît l’esprit n’a jamais sa fin en soi. Mais l’intelligence et l’esprit voudraient te convaincre qu’ils sont la fin de toute chose ; telle est leur fatuité.
Intelligence et esprit ne sont qu’instruments et jouets ; le Soi se situe au-delà. Le Soi s’informe aussi par les yeux des sens, il écoute aussi par les oreilles de l’esprit.
Le Soi est sans cesse à l’affût, aux aguets ; il compare, il soumet, il conquiert, il détruit. Il règne, il est aussi le maître du Moi.
Par-delà tes pensées et tes sentiments, mon frère, il y a un maître puissant, un sage inconnu, qui s’appelle le Soi. Il habite ton corps, il est ton corps.
Il y a plus de raison dans ton corps que dans l’essence même de ta sagesse. Et qui sait pourquoi ton corps a besoin de l’essence de ta sagesse ?
Ton Soi rit de ton Moi et de ses bonds prétentieux. « Que m’importent ces bonds et ces envols de la pensée ? se dit-il. Ils me détournent de mon but. Car je tiens le Moi en lisière et je lui souffle ses pensées. »
Le Soi dit au Moi : « Souffre à présent. » Et le Moi souffre et se demande comment faire pour ne plus souffrir – c’est à cette fin que doit lui servir la pensée.
Le Soi dit au Moi : « Jouis à présent. » Et le Moi ressent de la joie et se demande comment faire pour goûter souvent encore la joie – c’est à cette fin que doit lui servir la pensée.
Je veux dire leur fait à ceux qui méprisent le corps. Leur mépris est la substance de leur respect. Qu’est-ce donc qui a créé estime et mépris, valeur et volonté ?
Le Soi créateur a créé à son usage le respect et le mépris, il a créé à son usage la joie et la peine. Le corps créateur a formé l’esprit à son usage pour être la main de son vouloir.
Jusque dans votre folie et dans votre mépris, contempteurs du corps, vous servez votre Soi. Je vous le dis, c’est votre Soi qui veut mourir et se détourne de la vie.
Il ne peut plus faire ce qu’il aime par-dessus tout : créer ce qui le dépasse ; c’est là l’objet de son désir suprême, de toute sa ferveur.
Mais à présent il est trop tard – aussi votre Soi veut-il mourir, ô contempteurs du corps.
Votre Soi veut périr, et pour cette raison vous êtes devenus les contempteurs du corps. Car vous n’êtes plus aptes à créer ce qui vous dépasse.
Et c’est pourquoi vous vous irritez contre la vie et la terre. Il y a une jalousie inconsciente dans le regard louche de votre mépris.
Je ne suivrai pas vos voies, contempteurs du corps. Vous n’êtes pas les ponts qui mènent au Surhumain.
Ainsi parlait Zarathoustra."
Marx/Engels – L'idéologie allemande (1845-1846)
« A l'encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ils sont dans les paroles, la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os ; non, on part des hommes dans leur activité réelle ; c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Et même, les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l'on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles. De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l'individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l'on considère la conscience uniquement comme leur conscience. »
Freud.
1. « La psychanalyse se refuse à considérer la conscience comme formant l’essence même de la vie psychique, mais voit dans la conscience une simple qualité de celle-ci. » (Essais de Psychanalyse.)
2. « l’un des buts de la psychanalyse est de parvenir à soulever le voile d’amnésie qui recouvre les premières années de l’enfance,n de rappeler au souvenir conscient les manifestations de la vie sexuelle de la première enfance. » (Nouvelles conférences sur la psychanalyse)
3. « Nous admettons que la vie psychique est la fonction d’un appareil auquel nous attribuons une étendue spatiale et que nous supposons formé de plusieurs parties. » (Abrégé de Psychanalyse)
4. « Nous ne voulons pas seulement décrire et classer les phénomènes ; nous voulons aussi les concevoir comme étant des indices d’un jeu de forces s’accomplissant dans l’âme, comme la manifestation de tendances ayant un but défini et travaillant soit dans la même direction, soit dans des directions opposées. » (Introduction à la psychanalyse).
5. « Nous ne demandons pas au patient de dire ce qu’il sait, ce qu’il dissimule à autrui, mais aussi ce qu’il ne sait pas […]. Le patient est obligé de nous révéler non seulement ce qu’il raconte intentionnellement et de bon gré, ce qui le soulage comme une confession, mais encore […] tout ce qui lui vient à l’esprit même si cela lui est désagréable à dire, même si cela lui semble inutile, voire saugrenu. » (Abrégé de Psychanalyse).
6. « Le travail analytique nécessaire pour expliquer et supprimer une maladie ne s’arrête jamais aux événements de l’époque où elle se produisit, mais remonte toujours jusqu’à la puberté et à la première enfance du malade ; là, elle rencontre les évènements et les impressions qui ont déterminé la maladie ultérieure. Ce n’est que si l’on découvre ces évènements de l’enfance que l’on peut expliquer la sensibilité à l’égard des traumas postérieurs, et c’est en rendant conscients ces souvenirs généralement oubliés que nous acquérons le pouvoir de supprimer les symptômes. Nous arrivons ici aux mêmes résultats que dans l’étude des rêves, à savoir que ce sont les désirs inéluctables et refoulés de l’enfance qui ont prêté leur puissance à la formation des symptômes sans lesquels la réaction aux traumas postérieurs aurait pris un cours normal. Ces puissants désirs de l’enfant, je les considère, d’une manière générale, comme sexuels. » (Cinq leçons de psychanalyse).
Henri Bergson – Le Rire
« Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âmes qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les milles résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. »
Merleau-Ponty – Phénoménologie de la perception.
« Je perçois autrui comme comportement, par exemple, je perçois le deuil ou la colère d’autrui dans sa conduite, sur son visage et sur ses mains, sans aucun emprunt à une expérience « interne » de la souffrance ou de la colère et parce que deuil et colère sont des variations de l’être au monde, indivises entre le corps et la conscience, et qui se posent aussi bien sur la conduite d’autrui, visible dans son corps phénoménal, que sur ma propre conduite telle qu’elle s’offre à moi. Mais enfin, le comportement d’autrui et même les paroles d’autrui ne sont pas autrui. Le deuil d’autrui et sa colère n’ont jamais exactement le même sens pour lui et pour moi. Pour lui, ce sont des situations vécues, pour moi ce sont des situations apprésentées. Ou si je peux, par un mouvement d’amitié, participer à ce deuil et à cette colère, ils restent le deuil et la colère de mon ami Paul : Paul souffre parce qu’il a perdu sa femme ou il est en colère parce qu’on lui a volé sa montre, je souffre parce que Paul a de la peine, je suis en colère parce qu’il est en colère, les situations ne sont pas superposables. Et si enfin nous faisons quelque projet en commun, ce projet n’est pas un seul projet, et il ne s’offre pas sous les mêmes aspects pour moi et pour Paul, nous n’y tenons pas autant l’un que l’autre, ni en tous cas de la même façon, du seul fait que Paul est Paul et que je suis moi. Nos consciences ont beau, à travers nos situations propres, construire une situation commune dans laquelle elles communiquent, c’est du fond de sa subjectivité que chacun projette ce monde « unique ».
Sartre – L’être et le néant
« J’ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai découvert un autre aspect de mon être. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaître sur le plan réflexif, la honte n’est pas originellement un phénomène de réflexion. En effet, quels que soient les résultats que l’on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j’ai honte. Il est certain que ma honte n’est pas réflexive, car la présence d’autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d’un catalyseur, est incompatible avec l’attitude réflexive : dans le champ de ma réflexion je ne puis jamais rencontrer que la conscience qui est mienne. Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte tel que j’apparais à autrui. Et, par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est pas une vaine image dans l’esprit d’un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me « toucher ». Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je n’ai pas ; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. Il ne s’agit cependant pas de la comparaison de ce que je suis pour moi à ce que je suis pour autrui, comme si je trouvais en moi, sur le mode d’être du pour-soi, un équivalent de ce que je suis pour autrui. D’abord cette comparaison ne se rencontre pas en nous, à titre d’opération psychique concrète : la honte est un frisson immédiat qui me parcourt de la tête aux pieds sans aucune préparation discursive. Ensuite, cette comparaison est impossible : je ne puis mettre en rapport ce que je suis dans l’intimité sans distance, sans recul, sans perspective du pour-soi avec cet être injustifiable et en-soi que je suis pour autrui. Il n’y a ici ni étalon, ni table de correspondance. La notion même de vulgarité implique d’ailleurs une relation intermonadique. On n’est pas vulgaire tout seul. Ainsi autrui ne m’a pas seulement révélé ce que j’étais : il m’a constitué sur un type d’être nouveau qui doit supporter des qualifications nouvelles. »
Texte dit par Jean-Paul Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de la pièce en 1965.
« Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit Huis Clos, vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est à dire , je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais , s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais faire sortir l'une d'elles et les garder sur la scène jusqu'au bout comme pour l'éternité. C'est là que m'est venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite d'ailleurs, je dois dire , ces trois amis n'ont pas joué la pièce et , comme vous le savez c'est Vitold, Tania Balachova et Gaby Sylvia qui l'ont jouée. Mais il y avait à ce moment-là des soucis plus généraux et j'ai voulu exprimer autre chose dans la pièce que simplement ce que l'occasion me donnait. J'ai voulu dire : l'enfer , c'est les autres. Mais "l'enfer, c'est les autres" a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux. Or, c'est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut-être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons ses connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoique je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.
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